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Journée internationale des droits de la femme : portraits de Marseillaises qui font l'Histoire

Femmes remarquables, femmes d'engagement... Elles ont bouleversé l'Histoire par leur volonté de s'affranchir des codes imposés à leur condition pour se dévouer à de grandes causes, souvent au péril de leur vie, ou tout simplement assumer leur vie amoureuse.

Afin de célébrer toutes les femmes, découvrez le portrait de huit femmes marseillaises au destin extraordinaire

Elles étaient marseillaises ! Résistantes, déportées, femmes de lettres, engagées politiques, syndicalistes mais aussi mères, amantes, épouses. Ces huit femmes ont écrit, à leur manière, de grandes pages d'histoire par leur appétit d'exister.

Qu'il s'agisse de la Révolution française, des grands conflits mondiaux qui ont traversé le XXe siècle, du nouveau visage de la France après 1945, de l'aide aux plus démunis ou du mécénat d'artistes... Place aux femmes ! 


Désirée Clary, une grande amoureuse devenue espionne puis reine de Suède

Débuts marseillais

Bernardine Eugénie Désirée Clary voit le jour à Marseille le 8 novembre 1777 au sein d’une riche famille de 8 enfants. Son père, François Clary, échevin de Marseille est un armateur prospère. Elle reçoit l’éducation religieuse soignée des riches jeunes filles de l’époque.

Vient la Révolution : le couvent ferme ses portes précipitamment, Désirée  rejoint ses parents à Marseille. C’est le tournant : elle y croise une famille de petite noblesse corse réfugiée en France… Les Bonaparte ! Joseph et Napoléon sont frères, l’un et l’autre se sont illustrés dans leur défense de la jeune République. Napoléon Bonaparte, héros de la prise de Toulon, est général, promu à l’organisation de la défense de Marseille. Il jette son dévolu sur la jeune Désirée, la courtise et se fiance avec elle en 1795. Joseph Bonaparte a épousé Julie, la sœur aînée de Désirée, un an auparavant. Madame Clary s’exclamera « J’ai déjà bien assez d’un Bonaparte dans la famille ! ». Néanmoins, l’alliance avec les Bonaparte apporte aux Clary, protection et opportunités…

Déception amoureuse et nouvelle vie

Une nouvelle donne nommée Joséphine de Beauharnais - de son vrai nom Marie Josèphe Rose Tascher de la Pagerie - vient bouleverser un arrangement qui semble satisfaire tout le monde. En effet, Napoléon Bonaparte, alors de retour à Paris, tombe sous le charme de cette femme de six ans son aînée. Elle est la veuve d’Alexandre de Beauharnais, révolutionnaire exécuté durant la Terreur. Napoléon Bonaparte rompt officiellement ses fiançailles avec Désirée le 6 septembre 1795 et épousera celle qu’il rebaptise « Joséphine » en mars 1796. Désirée, elle, ne désignera plus autrement la femme de son ancien fiancé que par ce sobriquet peu amène : « la vieille ».
Humiliée, la famille Clary part pour l’Italie, car Joseph, beau-frère de Désirée, officie en mission diplomatique.
 

Paris, la Suède, le mariage

En 1798, les Clary quittent l’Italie et s’installent à Paris. Désirée y fait alors la connaissance du général Jean-Baptiste Bernadotte, farouche adversaire politique de Napoléon Bonaparte, les deux hommes se détestent. 
Pour Désirée, pas de doute, Jean-Baptiste incarne l’homme qu’elle attendait ! Ils se marient le 17 juin 1798, leur fils Oscar naît le 4 juillet 1799. Autour des années 1805, Jean-Baptiste Bernadotte s’illustre dans les campagnes napoléoniennes et est élevé au grade de maréchal d’Empire, soit la plus haute distinction militaire… Cette belle entente ne dure pas : Napoléon Bonaparte et Jean-Baptiste Bernadotte se brouillent de nouveau.
En 1811, Désirée et son époux s’installent en Suède après que ce dernier ait été élu prince héritier de Suède. Le climat du pays et les mœurs de la cour sont insupportables à Désirée qui retourne vivre seule à Paris après quelques mois. Sa position parisienne et ses relations avec Napoléon en font une candidate idéale à l’espionnage pour son mari. De son côté, l’Empereur compte bien l’utiliser à son profit. Elle devient ainsi une sorte « d’agent double » en ces temps où les relations entre l’Empire et la Suède sont houleuses…
 

Fin de l’Empire, nouveau scandale

Napoléon abdique en 1814, revient brièvement au pouvoir pour le quitter définitivement en 1815. La France redevient une monarchie, constitutionnelle cette fois, c’est la Restauration. Désirée, qui évolue toujours dans les hautes sphères du pouvoir, s’éprend d’un certain Armand-Emmanuel du Plessis de Richelieu, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères de Louis XVIII. Richelieu meurt à Paris le 17 mai 1822 sans avoir – dit-on – offert rien de plus à Désirée que de vagues promesses. Mais Désirée est si affectée qu'elle décide de porter le grand deuil, ce qui scandalise.

Son époux est entretemps devenu roi le 5 février 1818 sous le nom de Charles XIV Jean… Résignée, Désirée regagne la Suède en 1823. Elle est elle-même couronnée reine de Suède le 21 août 1829 sous le nom de « sa Majesté Desideria ». Son fils Oscar succède à son père en 1844. Désirée s’éteint à Stockholm en 1860 à l’âge de 83 ans. Elle laisse une lignée royale, dont l’actuel roi de Suède, Charles XVI de Suède… Dans les veines duquel coule un peu de sang marseillais !

 

 

Olympe Audouard, féministe et écrivain voyageur sous le Second Empire

Marseille-Paris-Moscou

Olympe Félicité de Jouval naît le 13 mars 1832 à Marseille sous le règne de Louis-Philippe d’Orléans, sous ce que l’on nommera la Monarchie de Juillet.
Mariée au notaire marseillais Henri-Alexis Audouard avec qui elle aura un enfant, son mariage est un échec.

Dépitée de son époux volage, elle demande la séparation de corps. Marseille est une petite ville, pense-t-elle. Elle y a fait néanmoins la connaissance d’Alexandre Dumas qui la complimente sur ses écrits. Elle quitte Marseille pour Paris avec la ferme intention de se faire sa place dans le monde des lettres…

Arrivée à Paris, elle fréquente, outre Dumas, des célébrités telles que Théophile Gautier, Lamartine, Jules Janin, rencontres qu'elle raconte dans ses mémoires. 
Après la finalisation de son divorce, prononcé en 1855, elle profite aussitôt de sa liberté retrouvée pour faire, comme écrivaine professionnelle, un long voyage à travers l’Égypte, la Syrie, la Palestine, la Turquie. De là, elle passa en Russie, parcourant l’Allemagne, la Pologne.
 

Retour parisien et liberté, liberté toujours

De retour à Paris, elle se lance en littérature en 1862 avec un roman intitulé Comment aiment les hommes où elle profite pour livrer sans ambages sa piètre opinion du genre, non sans ironie.  Écrivain prolifique, elle écrit sur les femmes et les hommes mais aussi sur l’Égypte, la Turquie, auscultant de près les moeurs sociales et la comédie humaine de son époque. Ce qui lui vaut très vite de nombreux ennemis… Essentiellement masculins !
La presse l’attire et l’inspire. Elle fonde le Papillon et la Revue cosmopolite, désirant poser son regard aigu sur l’actualité.
Mais sous le Second Empire (1851-1870), ses aspirations sont entravées par le contrôle que subit la presse d’une manière générale. Au temps du Papillon, la législation est issue du coup d’État : il faut obtenir une autorisation préalable pour créer un organe de presse et être admis à payer un cautionnement pour aborder des questions de nature politique et sociale. Elle travaille dans le premier cadre où, en cas d’infraction, les sanctions prévoyaient un avertissement et au bout de deux, la suspension ou la suppression. 
Olympe relate avoir été convoquée 17 fois au ministère de l’Intérieur durant le temps d’existence du Papillon. Ces contraintes ont pesé sur l’intérêt des revues : le fait de ne pouvoir aborder des sujets de société explique en partie la forme désuète de ses éditoriaux, intitulés « Causeries », portant un peu sur tout et sur rien et où, jouant avec la censure, elle s’amuse à frôler les questions d’actualité.
Si certaines « affaires » font du bruit, c’est parce qu’Olympe ne s’est jamais laissée faire et a volontiers donné un écho médiatique aux affaires et aux critiques extrêmement violentes la concernant.
 

Nul n’est prophète en son pays

En 1868, après s’être attaquée au baron Haussmann, préfet avec Lettre à M. Haussmann, préfet de la Seine, elle part pour l’Amérique donnant dans les villes des États-Unis une série de conférences qui ont un très vif succès, dû à son réel talent de conférencière.
Elle exige, dans une infinité d’exposés et de publications, à côté de réformes générales dans la législation civile, du divorce et de la question de l’assimilation des femmes, l’égalité complète pour les femmes, y compris le droit de voter et de se présenter aux élections !
Elle publie en 1869 "À travers l’Amérique - Le Far West".
Très attaquée par Barbey d’Aurevilly, écrivain et journaliste influent qui professe une grande haine pour les femmes de lettres, elle réagit en donnant une conférence contre lui, qui sera publiée. Barbey déploie contre elle un tel acharnement, qu’un beau matin, perdant patience, elle lui adresse un cartel (un défi en duel). Barbey ne crut pas devoir accepter ce duel, mais cet incident sera une bonne fortune pour la petite presse, surtout les journaux à caricatures, qui vivent quinze jours sur le combat manqué de Barbey et d’Olympe.
Suivent des dizaines de livres, romans, contes mais aussi réflexion sur la gynécologie et l’intimité (cachée !) des femmes...

Elle écrira en 1884 dans Voyage dans mes souvenirs : « Mais, puisque ce voyage à travers mes souvenirs […] constitue en définitive mes mémoires, je dois vous dire, comment, moi Marseillaise, me trouvant séparée à vingt ans et sans protecteur dans le monde, j’ai pu fonder à Paris un journal, le premier Papillon […]. N’avoir jamais écrit autre chose que des lettres et les livres du ménage, arriver à Paris, et faire paraître, trois mois après, une revue qui avait pour collaborateurs des écrivains d’un grand talent, c’est, avouez-le, un tour de force, et moi je l’avoue sans hésiter, je suis fière d’avoir pu faire ce tour de force. Il me prouve qu’avec de l’énergie, et en ayant le courage d’oser, on peut beaucoup ».
Elle s’éteint en 1890 à Nice des suites d’une congestion pulmonaire.

 

 

Marie Grobet-Labadié, le don de l'art à sa ville

Une enfant du siècle

En 1870, le Second Empire s’effondre après la défaite de Sedan face à l’armée prussienne. Le régime autoritaire de Napoléon III incarne le paradoxe d’une époque marquée par le triomphe capitaliste de la bourgeoisie et un peuple qui survit dans des conditions précaires.

 

Le Second Empire voit à la fois une période de développement économique, de grands travaux urbains et l'essor des chemins de fer. 

Sur ce terreau d’inégalités sociales et de surveillance politique, surgissent de grandes fortunes.

Alexandre Labadié, commerçant en draps marseillais, illustre parfaitement cet exemple du bourgeois prospère, personnalité locale qui se coule dans les sphères du pouvoir de l’Empire, puis de la Troisième République, proclamée le 4 septembre 1870. En 1869, il fait construire un hôtel particulier dans un des nouveaux quartiers prisés par la bourgeoisie montante, qui se partagent entre les environs de la Préfecture et ceux du Palais Longchamp tout nouvellement édifié. C’est donc en face de ce dernier qu’il se fait dresser en 1873 sur les plans d’un ami - l’architecte Gabriel Clauzel - une nouvelle demeure familiale.
Cet amateur d’art est un grand collectionneur d’oeuvres dont héritera Marie, sa fille unique. 
Marie Labadié naît le 15 février 1852 dans cette ambiance protégée. On sait peu de choses sur sa jeunesse, hormis qu’elle pratique le piano. Le 6 juillet 1872 elle épouse Bruno Vayson, un notable, maire de Murs.

Sous le signe de l’art

Le couple jouit d’une très confortable aisance financière, habite l’hôtel particulier de 1882 à 1885 et investit largement pour rassembler de nouvelles œuvres d’art. Mais Bruno Vayson décède en 1896, à l’âge de 55 ans. 
Marie se remarie dès 1897 avec Louis Grobet, violoniste-concertiste et peintre amateur. Il est membre de la Société des Amis des Arts, créée à Marseille en 1867. Unis dans l’amour de l’art, les époux poursuivent l’activité de collectionneurs. De grands travaux sont entrepris dans l’immeuble, de nombreuses acquisitions complètent les œuvres rassemblées par Alexandre Labadié. Des sommes importantes sont investies dans des pièces notables, dont des tapisseries, puis en 1900 dans l’aménagement de la salle à manger avec des boiseries du XVIIIe siècle.
La collection se constitué au gré des visites aux antiquaires, aux salles de vente et dans divers voyages. Le détail des acquisitions est bourgeoisement et scrupuleusement tenu par Marie, jusqu’en 1917, dans ses « Cahiers ». La fin de la tenue des carnets coïncide avec le décès de Louis Grobet emporté le 16 février 1917 par la grippe espagnole.
Marie Grobet cesse alors son activité de collectionneuse pour se consacrer essentiellement à l’organisation de la pérennité de son fonds. Sans descendance directe, Marie décide de léguer sa collection et son hôtel particulier à la Ville de Marseille.
 

Voyage dans le temps et les arts

L’hôtel particulier comporte un rez-de-chaussée, avec antichambre, salon Louis XVI, boudoir et salle à manger. Deux étages suivent, avec une salle des primitifs, cabinet de curiosités, chambres Louis XV, salon Louis XVI, bureau, salle de ferronnerie, salon de musique… Qu’il s’agisse de meubles, faïences, tapis, soieries, gravures, tapisseries, tout a été assemblé avec un soin extrême. De nombreuses pièces remarquables prennent place dans toute la maison : tapisseries d’Aubusson avec meubles assortis, gravure de Fragonard "La naissance de Vénus". Sur les murs, des pastels et des dessins de maîtres connus du XIXe siècle, comme Corot, Delacroix, Ingres. Des maîtres anciens également comme Rembrandt, Greuze, Puget…
On l’a compris, chaque pièce est thématique et l’harmonie provient de cet assemblage fait avec une connaissance profonde des œuvres et des artistes.
 

La transmission

Dans une lettre adressée au maire, Marie Grobet dessine précisément le futur musée. Insistant sur la notion de fonds clos, n’acceptant l’ajout d’aucune pièce a posteriori, elle en prévoit le mode de gestion et certaines modalités muséographiques. L’acceptation de cette donation et de ses conditions fut votée par le conseil municipal dans sa délibération du 24 janvier 1920. 
C’est à Jean-Amédée Gibert, peintre et conservateur du Musée des Beaux arts que fut confiée alors la garde du lieu qu’il cogérera presque vingt ans avec la donatrice. Elle supervise de 1921 à 1923 les aménagements destinés à l’accueil du public et contribue à leur financement. Le musée est inauguré le 3 novembre 1925 par le maire Siméon Flaissières et ouvre ses portes au public en 1926. 
Les premiers gardiens du musée furent d’anciens serviteurs de la maison et des invalides de guerre médaillés. Marie Grobet décède le 17 avril 1944.

 

 

Lucia Tichadou, l'infirmière de guerre et élue communiste

Lucia Bernard naît le 14 juin 1885 à Eclaron, en Haute-Marne au sein d’une famille modeste. Elle fait ses études à Autun (Saône-et-Loire) jusqu’au brevet élémentaire puis est reçue à l’École normale d’institutrices et enfin à l’École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses en 1906.

Titulaire du certificat d’aptitude au professorat des écoles normales et des écoles primaires supérieures (lettres) en 1909, elle est nommée professeur chargée de l’économat à l’ENI de Pau en 1909. Elle entra en conflit avec la directrice et obtint sa mutation pour l’ENI de Perpignan en 1913. Elle y rencontre Émile Tichadou, enseignant, son futur mari.

Infirmière engagée

La Première Guerre mondiale éclate et Lucia piaffe d’impatience de se rendre utile. Elle pressent ce que beaucoup n’arrivent pas encore à croire : cette guerre sera meurtrière. Elle décide d’être infirmière volontaire. Elle apprend « sur le tas » comme bénévole, dans l’hôpital de Brienne-le-Château, sous autorité militaire. 
Dès la mi-août 1914, elle y reçoit les blessés de la bataille des frontières, puis ceux de la Marne et écrit dans son journal : « Nous épuisons l’horreur ».
Contrairement à celles qui ne supportent pas longtemps la vue du sang, elle s’endurcit bien vite : « Nul dégoût, nulle appréhension… Les choses les plus horribles me paraissent en ce moment normales, ou plutôt je n’ai plus la conscience qu’elles sont horribles. Je panse chaque jour des plaies dont la seule vue m’aurait fait m’évanouir il y a un an ». 
L’annonce de sa nomination à l’École normale d’Aix-en-Provence, qui sera son troisième et dernier poste, laisse Lucia perplexe. Elle pense d’abord ne le rejoindre qu’à la fin de la guerre, dans un mois ou deux, pense-t-elle. Très vite consciente de l’enlisement du conflit, vient l’interrogation : « Où est le devoir ? Est-ce que je suis encore professeur ? ». 
Sa carrière est menacée par une administration implacable qui lui ordonne de rejoindre Aix. Elle obtempère finalement. Arrivée à Aix, elle concilie ses fonctions de professeur et ses acquis d’infirmière. Une partie de l’École Normale d’institutrices est transformée au mois de décembre 1914 en hôpital bénévole. 
 

Un destin politique

Son expérience directe du conflit amène Lucia au pacifisme. Militante syndicale dès l’avant-guerre, elle devient en 1934, membre du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme, du Comité de vigilance des intellectuels antifasciste et aussi du PCF, pour elle le prolongement logique de cet engagement. Mais voici à nouveau la guerre…
Dès octobre 1940, le régime de Vichy règle ses comptes avec ses ennemis supposés : statut des Juifs et mise à l’écart de la fonction publique de ceux et celles qui n’entrent pas dans le moule de la « Révolution nationale » voulue par le maréchal Pétain. Lucia est révoquée. 
Menacée d’arrestation, la famille Tichadou quitte précipitamment Aix, été 1941, pour Quérigut, le village natal d’Émile en Haute-Ariège. Proche de la frontière avec l’Andorre, le lieu est propice à la résistance où s’activent Lucia et ses deux jeunes fils, passeurs et maquisards. Arrêtés au maquis pendant l’été 1943, ses fils sont internés au camp de Compiègne mais parviennent à s’évader du train qui les conduit en Allemagne.
À la fin du conflit, elle est présidente du comité de Libération du canton et s’autoproclame maire de Quérigut. Elle signe son premier acte d’état civil le 4 septembre 1944. Elle est ainsi l’une des premières femmes maires, sinon la première !
Fin 1944, dans la perspective des premières élections au véritable suffrage universel, elle s’installe à Marseille. En avril 1945, elle est élue conseillère municipale de Marseille sur la liste Gaston Defferre-François Billoux et devient vice-présidente du conseil chargée d’établir un rapport contre le statut de tutelle que subissait encore la commune de Marseille. Aux élections pour l’Assemblée constituante d’octobre 1945, elle est candidate en troisième position dans la 1re circonscription des Bouches-du-Rhône. Réélue conseillère municipale en décembre 1946, elle devient première adjointe au maire communiste, Jean Cristofol. Elle est réélue au conseil dans l’opposition, en 1947 et en 1953.
Elle s’éteint à Marseille en décembre 1961, à l’âge de 76 ans, deux ans après son retrait de la vie publique.
Port-de-Bouc, ville ouvrière, garde d’elle un souvenir au quotidien : depuis 1983 une école maternelle et le centre social voisin portent son nom.

 

 

Lily Pastré, mécène au grand coeur

Naissance sous le signe de la fortune

Marie-Louise Double de Saint-Lambert dite « Lily » appartient à la haute société marseillaise. Ses grands-parents paternels sont Léon Double et Marie Prat (1849-1939), dont les parents, Anne Rosine Noilly-Prat et Claudius Prat (1814-1859) participent à la création et au développement de la marque Noilly Pratt (un vermouth).

 

Sa mère, Véra Magnan est l'arrière-petite-fille de Bernard Pierre Magnan, maréchal de France. Elle naît le 9 décembre 1891 alors que le port méditerranéen est en plein essor. Éducation soignée, cours de musique, pratique de la natation et du tennis... Sa jeunesse fortunée s’écoule paisiblement dans la bastide familiale de Montredon, actuelle école de la marine marchande. 

Un drame vient bouleverser sa vie et lui laissera à tout jamais le dégoût profond de la guerre : son frère Maurice, très aimé, meurt au combat en 1916. En 1918, elle épouse le comte Jean Pastré à qui elle donnera trois enfants. Ils partagent leur temps entre le château Pastré (qui deviendra le Musée de la Faïence) et Paris. 

L’entre-deux guerres

Dans le Paris de l’après-guerre qui veut oublier la « der des ders », Lily découvre avec délice une société avide de plaisir et d’art, des femmes libérées qui portent les cheveux courts et dansent toute la nuit.
De salons en salons, elle rencontre le Tout-Paris artistique, musical, l’avant-garde… Un monde bigarré et créatif qu’elle s’empresse d’accueillir l’été dans son domicile marseillais. Sa vie conjugale est cependant houleuse car son époux, très volage, la dépouille de ses illusions sur la vie de femme mariée. 
 

La Seconde Guerre mondiale : engagement aux côtés des artistes

En 1940, alors qu’un certain maréchal Pétain s’oppose à la poursuite de la guerre et signe l’armistice le 17 juin de cette année, Lily elle, met un terme à sa vie conjugale. Le divorce entre Lily et Jean est prononcé et fait scandale. Lily, blessée, se tourne alors pleinement vers le soutien des artistes. 
Son divorce lui laisse la jouissance de sa « Villa provençale » de Montredon où elle accueille les artistes qui cherchent à fuir une France désormais hostile ou tout simplement n’ont plus rien pour vivre. 
Elle crée à cette fin l’association « Pour que l’esprit vive »… Et sera la seule à pourvoir aux besoins de ceux qu’elle héberge ! On croise chez elle Darius Milhaud, le compositeur Georges Auric, les pianistes Youra Guller, Samson François, Rudolf Firkušný, les peintres André Masson, Victor Brauner, des hommes de lettres, Lanza del Vasto, le photographe Luc Dietrich, Marcel Brion, Gérard Bauer, Rudolph Kundera…  Le 27 juillet 1942, Lily Pastré fait représenter "Le songe d’une nuit d’été" de Shakespeare dans le décor naturel du parc, sous la pleine lune. Les rideaux et les tentures du château sont sacrifiés aux décors et aux costumes d’une pièce réalisée dans la semi-clandestinité : vingt musiciens juifs composent en effet l’orchestre que dirige Manuel Rosenthal !
La jeune Edmonde Charles-Roux, dont la mère est une amie de Lily Pastré, joue le rôle d’une fée. Elle se rappellera avec émotion les tablées de 25 convives, les soirées de concerts, les chambres remplies d’invités...
Mais dénoncée, Lily se voit contrainte de laisser les Allemands s’emparer finalement du château.

Libération, art lyrique et aide aux plus démunis

La guerre s’achève, l’Épuration est en marche. Durant cette page si sombre de notre histoire, Lily, une fois encore éclaire de sa créativité - de son inconscience diront certains - des temps troublés. Lily, éprise de musique, connaît bien les prestigieux festivals de Bayreuth et de Salzbourg… Pourquoi ne pas créer l’équivalent à Marseille ? Ce sera finalement Aix-en-Provence, ses places paisibles ombragées de platanes qui retiendront l’attention de Gabriel Dussurget (directeur de scènes musicales, directeur du festival d’art lyrique d’Aix jusqu’en 1972). La première édition a lieu en 1948, entièrement financée par Lily. Le miracle opère encore une fois, Hans Rosbaud et un orchestre allemand, spécialistes de Mozart sont présents. Comme si l’art abolissait les distances et effaçait la haine entre les hommes… Dans les années 50, émue par l’Abbé Pierre et sa croisade contre la misère, Lily offre aux compagnons d’Emmaüs un terrain jouxtant sa propriété, nécessaire à leurs activités. Ils y sont toujours. Ruinée par toutes ces largesses, Lily s’éteint le 6 juin 1974, à 82 ans. 
Entre 1966 et 1987, la ville de Marseille achète la totalité de la campagne Pastré. C’est le parc public que nous connaissons aujourd’hui.

 

 

Berty Albrecht, alias Victoire : militante féministe, héroïne de la Résistance

Figure de la lutte pour la condition des femmes, Berty Albrecht s'engage tôt dans la défense des droits de la femme avant de jouer un rôle déterminant à la direction du mouvement Combat pendant la Seconde Guerre mondiale.

Elle compte parmi les six femmes compagnons de la Libération, soldates inconnues de la Résistance. Une distinction unique et exceptionnelle qu’elle a reçue à titre posthume.

Une enfance à Marseille

Berthe Pauline Mariette Wild, dite Berty Albrecht, est née à Marseille le 15 février 1893. Ses parents, d’origine suisse, vivent alors dans la rue Sainte. Ils donnent à la petite Berty une éducation bourgeoise et protestante. Le père, négociant en bois exotique, possède un bateau de pêche amarré au Vieux-Port. Son grand plaisir est d’emmener pêcher sa fille unique, le dimanche.

L’enfance heureuse de Berty a pour cadre ce quartier pittoresque d’où elle suit sûrement avec intérêt la construction du pont transbordeur, reliant les deux rives du Vieux-Port et dont les travaux s’achèveront en décembre 1905. Une période faste pour Marseille qui, en ce début de XXe siècle, affirme sa modernité par son ouverture sur le monde et le développement du tramway, l’électrification, les débuts de l’automobile…
En 1906, Marseille accueille l’exposition coloniale à l’emplacement actuel du Parc Chanot. Berty s’y rend accompagnée de son père. Du haut de ses 8 ans, elle visite les quelque cinquante pavillons voués à sensibiliser les Français à la politique d’expansion coloniale et magnifier le rôle de Marseille face à la concurrence grandissante des autres ports européens. Que retiendra-t-elle de cet outil de propagande qui contribue à façonner un imaginaire colonial dans l’esprit du grand public ?
 

Berty s’engage dès la Grande Guerre

Après des études classiques au lycée de jeunes filles Montgrand à Marseille, puis à Lausanne, elle réussit son diplôme d'infirmière en 1912 et part pour Londres comme surveillante dans une pension de jeunes filles.
Avec 1914 arrive la Grande Guerre. Si beaucoup d’hommes partent au front, Marseille reste loin des champs de bataille mais devient un port de transit pour les troupes venues des divers continents. 4 millions d’hommes y passent : coloniaux algériens, marocains, tunisiens, de l’Afrique subsaharienne, Indochinois, mais aussi soldats débarquant des Indes, d’Australie, de Russie ou en partance pour le front de Salonique et les Dardanelles. Ils sont rejoints par les travailleurs issus des colonies venus pallier l’insuffisance de main d’œuvre dans les usines et sur les chantiers.
Berty revient à Marseille exercer son métier d’infirmière et renforcer les rangs de la Croix-Rouge dans les hôpitaux militaires.
 

Elle milite pour améliorer la condition des femmes

À la fin de la guerre, la jeune femme épouse un banquier hollandais, Frédéric Albrecht, et vit en Hollande, puis à Londres en 1924, où elle commence à s'intéresser à la condition féminine.
De retour à Paris, en 1931, elle devient membre de la Ligue des Droits de l'Homme, et crée, en 1933, une revue, le Problème sexuel, dans laquelle elle défend notamment le droit des femmes à l'avortement libre.
Plus tard, elle s’occupera des réfugiés allemands fuyant le nazisme qu’elle tente d’aider en les logeant et leur trouvant un travail. C’est à cette époque qu’elle prend pleinement conscience du danger du national-socialisme.
Dans cette période, les Allemands antifascistes sont nombreux à venir se réfugier en Provence et sur la Côte d’Azur. À Marseille, ils sont rejoints par les Espagnols républicains exilés en France ainsi que par les opposants à Mussolini.
L’année 1936 représente un nouveau virage dans son parcours de féministe engagée. Militante au sein de plusieurs associations, elle œuvre à l’amélioration de la condition ouvrière des femmes en devenant surintendante pour aider les femmes "travailleuses". En 1938, elle est affectée aux usines Barbier-Bernard et Turenne, fabrique d'instruments d'optique pour la Marine.
 

Son combat contre le fascisme

Mais l’horizon s’assombrit à nouveau avec le déclenchement de la guerre de 39-45. Berty est surintendante de l’usine Fulmen, fabricant de batteries à Clichy. C’est alors qu’elle entend, le 17 juin 1940, le discours du maréchal Pétain appelant à cesser les hostilités à la suite de la bataille de France.
Outrée par ses propos, elle décide d’entrer dans la lutte. Elle envoie sa fille Mireille vivre à Marseille, désormais ville-refuge, qui restera le dernier grand port encore en zone libre jusqu’au 11 novembre 1942.
Dès l’été 1940, Berty va plus loin dans son engagement contre le fascisme et organise la défense passive. Alors qu'elle occupe son emploi de surintendante de l’usine Fulmen à Vierzon, elle fait passer la ligne de démarcation à des prisonniers évadés.

Courant novembre, elle reçoit une lettre du capitaine Henri Frenay, dont elle avait fait la connaissance en 1935, qui lui demande de rejoindre le Mouvement de Libération nationale – organisation clandestine destinée à poursuivre la guerre contre l’Allemagne. Elle accepte et crée avec lui ce qui deviendra bientôt Combat, le principal mouvement de résistance non communiste. Berty met en place un réseau social pour venir en aide aux résistants du mouvement Combat et à leur famille en cas d’arrestation.
C’est alors qu’elle devient la compagne d’Henri Frenay et prend le pseudonyme de Victoire.
Début 1941, elle commence à dactylographier les premiers bulletins de propagande, recrute les premiers adhérents et collecte les premiers fonds pour le mouvement.

Arrêtée par la Gestapo à son domicile fin avril 1942, la résistante est internée administrativement et arbitrairement à Vals-les-Bains en mai. Elle exige d'être jugée. Devant le refus des autorités, elle fait une grève de la faim pendant 13 jours avec quelques-uns de ses codétenus parmi lesquels Emmanuel Mounier, fondateur de la revue Esprit.
Elle obtient alors d'être transférée à la prison Saint-Joseph à Lyon où elle est jugée et condamnée à six mois de prison ferme pour "Atteinte à la sûreté de l’État" et "Préparation d’une révolution visant à dénoncer l’armistice et reprendre les armes".
Simulant la folie, Berty est transférée le 27 novembre à l’asile d’aliénés du Vinatier, à Bron. Elle s'en évadera en décembre 1942 grâce à la complicité de ses camarades du commando des Groupes Francs de Combat, mené par André Bollier. Elle trouvera refuge une dernière fois à Marseille, rue Florac, dans le quartier du Prado, en décembre 1942.

Malheureusement, Berty Albrecht n’assistera pas à la libération de Marseille, ville à laquelle elle était tant attachée. Dénoncée, en mai 1943, alors qu’elle poursuit ses activités clandestines à Cluny où elle est retournée aux côtés d’Henri Frenay, elle est arrêtée à Mâcon le 28 mai par la Gestapo. Torturée, envoyée à la prison de Montluc à Lyon puis à Fresnes, elle se donnera la mort par pendaison dans la nuit du 31 mai 1943.

"Mourir n’est pas grave. Le tout, c’est de vivre conformément à l’honneur et à l’idéal que l’on se fait".
 

La reconnaissance nationale à titre posthume

À la fin de la guerre, Berty Albrecht, alias Victoire, sera la seule femme, avec la résistante Renée Lévy, à avoir été inhumée dans la crypte du Mémorial de la France, combattante au Mont Valérien, haut lieu de la mémoire nationale.
Elle compte parmi les six femmes compagnons de la Libération, soldates inconnues de la Résistance. Une distinction unique et exceptionnelle qu’elle reçoit à titre posthume pour son engagement précoce, son action exemplaire et son immense courage ayant contribué à préserver "la France et son empire" des griffes de l’ennemi nazi.
En mémoire à cette grande figure de la Résistance, un square, situé dans le 7e arrondissement de Marseille, porte le nom de Berty Albrecht.

Le musée de l'ordre de la Libération aux Invalides à Paris a évoqué longuement lors de l'exposition "1940 ! Paroles de rebelles", cette figure de notre Histoire.

À l’occasion de la publication de cet article, marseille.fr rend également hommage à Reine Chouraqui : une autre héroïne de la Résistance, disparue le 7 février 2021, à l’âge de 96 ans. Elle a grandi et vécu dans le quartier Saint-Pierre, à Marseille (5e).
 

­­Berty Albrecht au musée d'Histoire de Marseille
Le musée d'Histoire de Marseille présente dans son parcours permanent un espace thématique consacré à Berty Albrecht.

Une collection d'objets lui ayant appartenu et provenant du don fait au musée par sa fille Mireille Albrecht, est exposée : son bureau, des vêtements, une collection de photographies et quelques documents concernant son engagement féministe, notamment les courriers écrits durant sa captivité en 1942 et un exemplaire de son ouvrage Le problème sexuel, évoquent le parcours de vie de cette figure importante de la Résistance à Marseille.

 

 

Germaine Poinso-Chapuis, femme d'État et de coeur

Naissance et débuts

Germaine Chapuis naît à Marseille le 6 mars 1901 au sein d’une famille très catholique. Son père, négociant en bonneterie peine à élever sept enfants dont cinq meurent en bas âge. Ses parents reconnaissent en elle des qualités intellectuelles dont il se sentent eux-mêmes dépourvus.

Encouragée, Germaine obtient son doctorat en droit, mention très bien, en 1921.

Elle épouse un confrère, Henri Poinso en 1936. Il sera son complice, son allié et la soutiendra toute sa vie. Les débuts sont difficiles, peu de femmes exercent le métier d’avocat et Germaine doit s’imposer par son éloquence et sa rigueur. Très vite, elle milite pour le Parti démocrate populaire où elle trouve cette alliance de foi bienveillante et un militantisme dévoué à la cause des femmes et des enfants.


Elle organise au sein du parti des sections féminines et fait campagne pour le droit des femmes à voter… Ce qui ne lui vaudra pas que des amis au sein même du parti !

Avec son confrère, le très respecté Maître Vidal-Naquet, elle s’investit dans la défense des enfants poursuivis en justice. Ils fondent le Comité de Protection de l’Enfance où sont menées des enquêtes sociales chez les plus démunis pour prévenir la délinquance. 
 

La résistante

« Entre la guerre et le déshonneur, vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre » prophétise Winston Churchill en 1938 à Neville Chamberlain.
De l’autre côté de la Manche, pour Germaine et son époux, le choix s’impose : refus de l’armistice, vécue comme une trahison insupportable. Germaine s’investit en défendant devant les tribunaux les haïs du régime de Vichy : communistes, étrangers réfugiés en zone libre… Elle visite des prisons, facilite des évasions, héberge des maquisards et cache des enfants juifs en utilisant le Comité de Protection de l’Enfance. Membre du Mouvement de Libération Nationale (MLN), elle se rapproche de Gaston Defferre et est membre du comité départemental de Libération. 
Elle devient vice-présidente de la Délégation municipale de Marseille, du 30 août 1944 au 24 avril 1945 et s’emploie à réhabiliter la vie publique, à restructurer l’administration municipale.
 

Dévouement à la vie publique et politique

À la fin de la guerre, les partis politiques se reconstituent, sauf les anciens partis de droite, marqués par leur soutien au régime de Vichy. La démocratie chrétienne se rassemble via le Mouvement Républicain Populaire (MRP). Germaine est élue députée MRP de la première circonscription des  Bouches-du-Rhône ! Elle fera partie du conseil municipal jusqu’en 1959.
Charismatique, éloquente, travailleuse infatigable, elle agace tout autant qu’elle suscite l’admiration. En effet, féministe ardente, elle milite pour la protection des femmes divorcées, des enfants « naturels », pour l’indépendance économique des femmes mariées… À une époque où une femme ne pouvait ouvrir un compte en banque sans le consentement de son mari ! (Ce sera accompli par la loi du 13 juillet 1965). 
Pour elle, le catholicisme doit s’incarner dans la compassion et des missions de protection, non juger et condamner, dans ce monde où tout est à reconstruire.
Ministre de la Santé publique et de la Population dans le premier gouvernement de Robert Schuman du 24 novembre 1947 au 26 juillet 1948, elle propose le 
« décret Poinso-Chapuis » du 22 mai 1948. Il subventionne des associations pour l'éducation des familles n'ayant pas les moyens d'assurer financièrement cette obligation. Elle dépose 28 textes (!) et est élue deux fois vice-présidente de l'Assemblée nationale et membre de la Commission des Affaires économiques et de la Commission de la famille, de la population et de la santé publique. 
 

La fin d’une époque et le courage de poursuivre

Les reconnaissances honorifiques se succèdent : Médaille de la Résistance française, Ordre national de la Légion d'honneur, Commandeur de la Santé publique… Battue aux élections législatives de 1956, elle consacre toute son énergie à Marseille, avant d’être nommée par le préfet, membre du Conseil économique et social de l’Établissement public régional de Provence en 1975. Les bruyantes revendications féministes des années 70 la troublent sans qu’elle y prenne part, elle qui a tant milité pour le droit de vote des femmes… L’opinion publique et la jeunesse se cherchent d’autres égéries. Pour ces « baby-boomeuses » nés après 1945, Germaine appartient au passé.
Elle se consacre à la cause des handicapés et meurt le 19 février 1981.

 

 

Marie-Madeleine Fourcade, une jeune fille rangée devenue la seule femme chef d'un réseau de résistance

Enfance coloniale et envie d’émancipation

Marie-Madeleine Bridou naît à Marseille le 8 novembre 1909. Elle est la fille du sous-directeur des Messageries maritimes. De part la profession de son père, elle passe son enfance jusqu'à l'âge de 10 ans en Chine, à Shangaï où l’exil colonial a pour ces riches fonctionnaires un doux parfum de villégiature... 


Pensionnaire du très huppé Couvent des Oiseaux, elle réside ensuite cinq ans dans le bled marocain. Elle sera mariée (un mariage arrangé) au colonel Édouard Méric. 
Mais très vite, Marie-Madeleine a des envies de liberté. Elle mène dès lors une vie très indépendante, travaille comme journaliste et collabore avec l’écrivain Colette à une émission de radio parisienne. Mère de deux enfants, la jeune femme les confie à leur grand-mère. Le couple Méric se sépare lorsque Édouard est muté aux Affaires indigènes du Maroc.
Depuis 1938, elle partage les passions nationalistes du commandant Loustaunau-Lacau, dit "Navarre". Secrétaire du groupe de publications d'extrême droite qu'il a créé, elle est à ses côtés à Vichy en 1940 et participe à la rédaction de l'appel à "La Croisade" qu'il fait parvenir à Londres par divers intermédiaires, dont Jacques Bridou, son frère, puis à la création du réseau Alliance en avril 1941 sous l'égide de l'Intelligence Service britannique, après le refus opposé par le général de Gaulle. 
En effet, de Gaulle souhaite une pleine allégeance à sa personne depuis qu’il est à Londres et il flaire de loin les ambitions de Loustanau-Lacau.

Chef de réseau

Loustanau-Lacau dit « Navarre » est arrêté en 1941. Livré aux nazis par le régime de Vichy, il est déporté à Mathausen. Marie-Madeleine prend le relais. Le réseau prend le nom d’"Arche de Noé", chaque pseudonyme est un nom d’animal. Marie-Madeleine devient donc « Hérisson » ce qui laisse croire qu’il s’agit d’un homme.
Fin 1941, le réseau possède des filières de passage de la ligne de démarcation des Pyrénées, des points d'hébergement, des agents de renseignement et de liaison. 
Menant une vie itinérante au gré des déplacements de la centrale du réseau, elle échappe à plusieurs reprises aux arrestations mais est finalement arrêtée deux fois. En 1943, enfermée avec ses amis à l'Évêché à Marseille, elle réussit à convaincre les  policiers français de ne pas les livrer aux nazis et c'est au cours d'un transfert que l'évasion montée de toute pièce a lieu.
L'année 1943 est pour la Résistance une année noire et Marie-Madeleine prend de plus en plus de risques, puisque les services secrets anglais estiment qu'un responsable de la Résistance en France ne peut tenir plus de huit à dix mois… 
Or, Marie-Madeleine tient trente et un  mois, grâce au maillage qu'elle a mis en place, le cloisonnement entre les groupes de résistants et les mesures de sécurité qu'elle préconise.
Elle réalise un travail ahurissant fournissant des informations d'une qualité et d'une précision remarquables, comme les armes secrètes d'Hitler VI et V2, et plus tard, l'emplacement exact des rampes de lancement tant sur les côtes de France, qu'en Belgique ! 
 

Après la guerre

À la Libération, elle part à la recherche de ses compagnons  d'arme,  disparus ou survivants, allant de charniers en charniers pour identifier ceux qui ont été exécutés et contribue à obtenir un statut pour les veuves et les orphelins. En 1948, 18 000 dépendent du comité des œuvres sociales de  la Résistance et elle fait homologuer trois mille membres de son réseau. Présidente du Comité d'Action de la  Résistance (CAR) à  partir de 1963, elle réussit à fédérer plus d'une cinquantaine d'associations ou amicales d'anciens résistants. Elle s’est remariée en 1947 avec Hubert Fourcade qui s’était engagé dans les Forces Françaises Libres (FFL), avec lequel elle aura trois autres enfants.
Vice-présidente de l'Union Internationale de la Résistance et de la Déportation à partir de 1960 et de l'Association nationale des médaillés de la Résistance (depuis 1947), membre de la LICRA108, elle est députée européenne entre 1980 et 1981 et représentante à l'Assemblée des Communautés européennes (1981-1982).
 

Derniers combats

Elle laisse à la postérité son témoignage sur la guerre et la résistance publié sous le titre "L’Arche de Noé", en 1968. Elle y écrit notamment : « Nous avons reçu ainsi un double héritage : celui de transmettre à la postérité la vérité historique, et celui d’exercer, et d’exercer vraiment, une vigilance constante sur la résurgence du nazisme et de ses séquelles. »
En 1987, âgée de 77 ans, elle intervient lors du procès de Klaus Barbie. Marie-Madeleine s’éteint en 1989. le gouvernement français et les derniers survivants du réseau lui rendent un hommage solennel le 26 juillet à l'occasion de ses obsèques en l'église Saint-Louis-des-Invalides et de son inhumation au cimetière du Père-Lachaise à Paris.

 

 

Irma Rapuzzi, la pasionaria de la politique

Des débuts sous le signe du socialisme

Irma naît le 12 avril 1910. Sa mère, meurt en couches et son père mineur, d’origine lombarde, meurt au combat en 1914. La petite Irma est confiée à sa tante.   
Entrée à l’École normale d’institutrices d’Aix-en-Provence, devenue institutrice, elle occupa divers postes dans le département, notamment à l’école de filles de la rue Hesse et à l’école du quartier de La Cadenelle à Marseille.

Adhérente au Parti Socialiste SFIO depuis 1931, elle milite aux Femmes Socialistes et est leur déléguée au conseil fédéral, en janvier 1934. Elle participe par la suite aux congrès de la Fédération départementale SFIO jusqu’à la guerre.

Conseillère départementale du Syndicat National des Instituteurs (SNI) de 1936 à 1937, elle s’engage pour les retraités, milite pour de meilleures conditions de travail pour les enseignants. Le verbe haut, elle se taille rapidement une réputation de tribun redoutable et de leader opiniâtre. Elle adhère ensuite, peu avant la guerre, à la CGT.

 

Résistante et femme politique

Pendant l’Occupation, Irma Rapuzzi rejoint dans la clandestinité, les militants socialistes et syndicalistes résistants, notamment Gaston Defferre. 
Après la guerre, elle participe à la conférence nationale du courant « Force Ouvrière », les 8 et 9 novembre 1947. Dans son intervention, elle lance un appel à ses camarades : « Mesurez bien vos responsabilités : ou bien vous prenez la tête du mouvement de libération ou bien vous assistez à la désagrégation toujours accrue du mouvement syndical.».
Enseignante en cours complémentaire, elle devient en 1946, responsable des Femmes Socialistes et sera à la fin des années 1940, la secrétaire-adjointe de la fédération socialiste SFIO. Elle participe à la fondation de la Société Coopérative Ouvrière de Manutention (SOCOMA) avec Daniel Matalon, Charles-Émile Loo et Antoine Andrieux, pour le contrôle du port de Marseille.
Élue conseillère municipale SFIO en octobre 1947, elle siège d’abord dans l’opposition de 1947 à 1953 - adversaire du maire Michel Carlini -  puis, en qualité d’adjointe au maire à partir de 1953, à l’Instruction publique, ensuite aux Finances. 
 

Marseillaise jusqu’au bout

En mars 1977, elle devient première adjointe au maire. Depuis plusieurs années, on disait d’elle qu’elle était le véritable « ministre des Finances » de la commune de Marseille. Rapporteur général du budget, elle gère le budget municipal avec beaucoup de compétence et de rigueur, disent certains, avec férocité, disent d’autres...

Plusieurs fois candidate, sans succès, aux élections législatives, notamment en 1951 (troisième de liste) et sous la Ve République, Irma Rapuzzi est  élue sénateur en juin 1955 et participe aux Commissions de la marine, des pêches et de la reconstruction. En 1956, s’ajoutent les commissions de l’Intérieur et de la Presse, puis à partir de 1957, celle des finances dont elle est rapporteur spécial. En juin 1958, elle vote contre le projet de lois sur les pleins pouvoirs et la révision constitutionnelle. Elle fut régulièrement réélue aux élections sénatoriales (avril 1959, septembre 1962, septembre 1971, septembre 1980). Elle ne se représentera pas en septembre 1989.

Après 34 ans de mandats, elle est la femme ayant siégé le plus longtemps à la Haute Assemblée (de 1955 à 1989).
Elle siège encore au conseil d'administration de la SOCOMA en juin 2009.
Irma Rapuzzi décède peu avant son 108 anniversaire à Marseille, en 2018.



​Et parce que la présence de noms de femmes dans l'espace public doit représenter des exemples, parce qu'elle montre que l'Histoire n'est pas simplement un fait d'homme, la municipalité souhaite favoriser la dénomination de lieux avec des figures de femmes qui ont contribué grandement à l'histoire de Marseille.
C'est ainsi qu'a été adoptée, lors du Conseil municipal du 8 février 2021, la délibération proposant que trois salles de l'Hôtel de Ville prennent, respectivement, le nom de trois conseillères municipales : Lucia TichadouGermaine Poinso Chapuis et Irma Rapuzzi
Téléchargez la Délibération  du 8 février 2021

 

Galerie photos

 

Légende photo :
- Photo 1 : Portrait de Désirée Clary, Photographie de peinture, coll Musée du Vieux Marseille, Musée d'Histoire de Marseille.
- Photo 2 : Ivan Verdot et Lily Double (AMM, 159 II 221 bis)
- Photo 3 : Lillly  Double enfant159 (AMM,  II 14)
- Photo 4 : Lily Double (AMM, 159 II 221)
- Photo 5 : panoramique et vignette : Premier conseil municipal après la Libération où l'on voit Germaine Poinsot-Chapuis assise au premier rang, 3eme à partir de la gauche - (AMM, 109 Fi 8)
- Photo 6 : Lucia mise en scène par un studio marseillais. Coll. Part. 
- Photo 7 : Lucia Tichadou soignant les blessés de guerre à l'Ecole Normale d'Institutrices d'Aix-en-Provence (Hôpital Bénévole n° 146 Bis) . Coll. Part.
- Photo 8 : Blessés et soignants à 'hôpital mixte de Brienne-le-Château (ancien hospice de la Charité. Coll. Part.
- Photo 9 :  Huiron après la bataille de la Marne (secteur de Vitry-le-François). Carte postale.  Coll. Echinard
​- Photo 10 :  Clocheton classé monument historique de l'hospice de Brienne, aujourd'hui maison de retraite. Cliché Jean-Marc Livet.
- Photo 11 : Portrait de Berty Albrecht vers 1911 - Musée d'Histoire de Marseille

- Photo 12 : Portrait de Berty Albrecht vers 1920 - Musée d'Histoire de Marseille
- Photo 13 : Portrait de Berty Albrecht 2e quart du 20e siècle - Musée d'Histoire de Marseille
- Photo 14 : Berty Albrecht devant la basilique Saint-Marc à Venise vers 1932 - Musée d'Histoire de Marseille
- Photo 15 : Berty Albrecht et sa fille Mireille à Londres, 1928 - Musée d'Histoire de Marseille
- Photo 16 : Berty Albrecht, Mary-Jayne Gold et deux hommes à La Farigoulette vers 1935 - Musée d'Histoire de Marseille
- Photo 17 : Attribution de la Médaille militaire à Berty Albrecht - Musée d'Histoire de Marseille