2 600 ans d'histoire
Marseille avant Marseille : une très longue histoire
Les premières occupations humaines du bassin de Marseille remontent au Paléolithique moyen (- 60000). Quelques sites du Paléolithique supérieur, entre - 27000 et - 10000, dont celui de la grotte Cosquer, l’un des plus vieux témoins d’art pariétal européen, sont également connus.
En revanche, à partir du Mésolithique (du IXe au VIe millénaire av. J.-C.) de nombreuses occupations humaines sont attestées. Au VIe millénaire avant notre ère, des pasteurs et paysans néolithiques issus d’une migration dont l’origine se situe en Méditerranée orientale accostent dans le bassin. Ils introduisent en Provence le blé et l’orge, le mouton et la chèvre domestiques, la pierre polie et la céramique. Leur mode de vie, fondé sur la sédentarité, est radicalement différent de celui des derniers chasseurs-cueilleurs nomades qui les ont précédés. Du VIe au IIIe millénaire av. J.-C., ces populations modèlent fortement le paysage avant de céder la place à celles de l’âge du Bronze, qui choisissent pour leur part d’installer leurs villages dans la plaine ou sur des sites de hauteur fortifiés. Durant le premier âge du Fer, plusieurs de ces sites (oppida) sont signalés dans le bassin parmi lesquels la Tourette, à Saint-Marcel, qui serait l’habitat des Ségobriges, les Gaulois de la légende de Gyptis et Prôtis.
L'union de Gyptis et de Prôtis, le mythe de la fondation de Marseille
« Les citoyens de cette ville (Phocée) sont les premiers des Grecs qui aient accompli des navigations lointaines ; ce sont eux qui découvrirent le golfe Adriatique, la Tyrrhénie, l’Ibérie, Tartessos ; ils nenaviguaient pas sur des vaisseaux ronds, mais sur des pentécontères »
Hérodote, historien grec du Ve siècle av. J.-C., L’Enquête, I, 163
Vers 600 av. J.-C., des Grecs d’Asie Mineure, actuelle Turquie, quittent Phocée pour fonder une cité dans la calanque du Lacydon. Au début du VIe siècle av. J.-C., un premier habitat s’organise dans l’actuel quartier du Panier, au-dessus du port situé dans la calanque. La ville est placée sous la protection d’Artémis, d’Apollon et d’Athéna qui ont leurs temples sur les collines. Les Phocéens utilisent la position favorable du site de Marseille, à l’abri des vents dominants, la protection des îles du Frioul et la proximité avec le Rhône pour commercer avec les Gaulois. Le mythe de fondation de Massalia décrit la rencontre entre un marin grec, Prôtis, et une princesse gauloise, Gyptis. Son père, Nannos, le roi des Ségobriges, donne en cadeau de mariage le territoire de Massalia, qui est la plus ancienne ville de France. Il est possible que les citoyens de Phocée émigrent une seconde fois en 546 av. J.-C., chassés par les Perses. Ils apportent avec eux leur religion, leur langue, des techniques de construction, la culture de la vigne et de l’olivier et des produitscommerciaux de Méditerranée comme le vin et des vases en céramique. De la rencontre entre Grecs et Gaulois va naître une riche culture, en dépit de nombreux conflits territoriaux.
Le monde de Pythéas
«Pythéas de Marseille, ce grand pilote, assurément l’un des plus grands explorateurs que l’Histoire ait connu. Il affirma et proclama l’existence des îles Britanniques. Il fut traité en conteur de mensonges, et ce n’est que longtemps après la disparition du monde où avait vécu ce grand pilote, qu’on se prit d’admiration pour les découvertes qu’il y avait faites.»
Winston Churchill, Premier Ministre anglais, 1874-1965
Massalia est une cité grecque indépendante, de sa fondation vers 600 av. J.-C. à la prise de la ville par César en 49 av. J.-C. Elle joue un rôle de première importance dans la redistribution des produits méditerranéens le long des côtes de la Gaule et de l’Ibérie, en s’appuyant sur une série de comptoirs, d’Agde à Nice. Ses marins, comme le célèbre Pythéas, s’enhardissent au-delà des colonnes d’Hercule (le détroit de Gibraltar) pour voguer dans l’Atlantique Nord à la recherche de gisements d’étain ou vers le sud, le long des rivages africains pour le navigateur Euthymènes. Rivale de Carthage et alliée de Rome de longue date, elle joue un rôle peut-être dans la première guerre punique (264-241 av. J.-C.), assurément au début de la deuxième guerre punique, au moment de la bataille de Sagonte, en 219 av. J.-C. Vers - 125, la pression des tribus gauloises contraint les Massaliètes à faire appel à Rome, ce qui amènera la fondation de Narbonne et la création de la province de Gaule transalpine, la Narbonnaise. Dotée alors d’un territoire considérable, elle est au sommet de sa prospérité.
De Massalia à Massilia : la ville romaine
« Les Marseillais, sur l’ordre qui leur en est donné, nous remettent les armes et les machines de guerre, font sortir les vaisseaux du port et des chantiers, livrent l’argent du trésor. Ces choses faites, César laissa subsister la ville, considérant plutôt son nom et son antiquité que sa conduite envers lui. »
Jules César, général et homme d’État romain, Ier siècle avant J.-C., Guerre civile, II, 22
Massalia est conquise par Jules César et son légat Trébonius en 49 av. J.-C. La ville perd alors son indépendance politique mais reste un port actif et conserve très longtemps son caractère de ville grecque. L’habitat se développe dans l’ancienne zone portuaire. On y trouve un forum dallé, un théâtre de tradition grecque et, plus à l’est, un vaste édifice thermal. En bordure du plan d’eau du Lacydon, comme le nomment des auteurs latins tardifs, apparaissent de vastes entrepôts, des horrea. En dépit d’une romanisation progressive qui se manifeste par la progression du latin, l’architecture et le décor des maisons et les usages funéraires, l’héritage grec se perpétue dans la trame urbaine, ses orientations et ses « quartiers ». Il se manifeste également par l’usage fréquent de la langue grecque sur les inscriptions. Sur l’ancien territoire agricole, de grandes habitations littorales ou rurales (villae) montrent une campagne romanisée où l’on cultive la vigne, l’olivier et les céréales. Marseille, comme Arles, participe à la paix romaine en Méditerranée, l’essor des échanges en est une conséquence particulièrement bien documentée avec les épaves et leurs cargaisons.
De la cité antique à la cité médiévale
« Dans mon dénuement, je me décidai alors à m’établir à Marseille, une ville où de nombreuses personnes saintes m’étaient chères… »
Paulin de Pella, auteur latin, Ve siècle, Eucharisticos, lignes 520-521
Marseille est au Ve siècle une « ville de saints », en vertu de la nouvelle donne religieuse décidée par l’empereur Constantin. En 314, Marseille envoie l’évêque Orésius au concile d’Arles, une communauté chrétienne est donc certaine, sans doute dès le IIIe siècle. Dès 400, de nouveaux édifices de culte caractérisent ces premiers temps chrétiens. En témoignent en ville un groupe épiscopal doté du plus grand baptistère des Gaules et, hors les murs, le sanctuaire de Saint-Victor et la basilique funéraire de la rue Malaval avec sa tombe vénérée. Des nécropoles aux rites et pratiques nouvelles perpétuent l’auréole funéraire antique autour de la ville et le long des voies avec des regroupements autour des nouveaux édifices funéraires. Près de la cathédrale on constate par ailleurs les premiers ensevelissements en ville. Le développement de l’habitat et de l’activité du port montre des échanges intenses que Marseille entretient avec toute la Méditerranée, après la fin de l’Empire et l’avènement des Francs.
Cependant la reprise en main de la ville par Charles Martel en 738 inaugure deux siècles d’un haut Moyen Âge au cours desquels Marseille décline. À terme, l’essentiel de l’habitat paraît cantonné dans deux enceintes réduites d’une ville dont les monuments antiques sont en ruine.
Un Moyen Âge marseillais
« Au mois d’aoust entrames en nos nefs à la Roche de Marseille. À cette journée fist l’on ouvrir la porte de la nef et mist l’on touz nos chevaus ens que nous devions mener outre mer »
Joinville, chroniqueur français (1224-1317), départ de Marseille de la septième croisade en 1248
Au Xe siècle, la Provence est rattachée aux souverains de Bourgogne qui installent en 948 les vicomtes à Marseille. Ce régime, avec la maison des comtes de Barcelone, dure jusqu’à la mort de Raimond-Bérenger V en 1245. Sa fille Béatrix lui succède et épouse en 1246 le frère de Louis IX, Charles d’Anjou, qui n’a de cesse de soumettre la ville. Cette première période s’achève en 1382 avec l’assassinat de la reine Jeanne. Après une époque de troubles, Louis d’Anjou, frère de Charles V, inaugure la deuxième maison d’Anjou. Celle-ci se clôt en 1481 avec la mort sans héritier du neveu et successeur du roi René, Charles du Maine, qui a légué la Provence à son cousin Louis XI. Palamède de Forbin, fils d’une riche famille, est nommé gouverneur. Il se rend vite impopulaire et est destitué à la mort de Louis XI. Le rattachement définitif à la France du « comté de Provence et des terres adjacentes dont Marseille » est confirmé par Charles VIII en 1487. Plusieurs causes expliquent le peu de vestiges du Moyen Âge : les destructions dues au sac des Aragonais de 1423 et celles de la période révolutionnaire, les constructions postérieures qui arasent les niveaux médiévaux pour s’appuyer sur l’antique et le désintérêt des édiles dont témoigne, à la fin du XIXe siècle, la destruction de l’église Saint-Martin.
Et Marseille devient Française
« Cette ville de Marseille est le grand port de mer du royaume de France. Toutes les fois qu’on envisage de faire une expédition (maritime) avec des navires à partir du royaume de France, on réunit dans cette ville (les moyens nécessaires) et on part en mer. »
Pîrî Re’îs, grand amiral de la flotte ottomane, Le Livre de la mer, 1526
En 1481, à la mort de Charles V d’Anjou, la Provence est unie à la couronne de France. Marseille conserve un statut fiscal privilégié de «terreadjacente» à la Provence. Pour les rois de France, le port de Marseille est un atout dont ils vont tirer parti pour leurs expéditions en Italie. La ville en bénéficie mais subit aussi en 1524 un siège. François Ier y vient trois fois, notamment à l’occasion du mariage de son fils Henri avec Catherine de Médicis. Pendant les guerres de Religion, la ville jouit d’une certaine prospérité grâce à ses relations avec la Barbarie (Afrique du Nord) et le Levant (la Méditerranée orientale, sous domination turque). Le protestantisme y a rencontré peu d’échos et elle reste un temps à l’écart des conflits. Lorsqu’en 1589, après l’assassinat d’Henri III, l’héritier du trône devient Henri de Navarre, prince protestant, elle choisit le camp de la Ligue catholique. Le ligueur Charles de Casaulx la transforme en 1591, avec le soutien des Espagnols, en une petite république marchande, indépendante du royaume jusqu’à son assassinat en 1596.
Marseille et le Roi-Soleil. Le siècle de Louis XIV
« Je suis charmée par la beauté singulière de cette ville ».
Marquise de Sévigné, femme de lettres française, lettre à sa fille, 25 janvier 1673
Louis XIII et Louis XIV avec leurs ministres respectifs, Richelieu et Colbert, nourrissent de grandes ambitions maritimes et commerciales pour la ville. Au milieu du XVIIe siècle, Marseille se tient à l’écart des troubles de la Fronde. Mais le premier consul, Gaspard de Glandevès-Niozelles, s’engage maladroitement dans un rapport de force avec le jeune roi Louis XIV qui décide de mettre la ville au pas. Sa venue à Marseille en 1660 marque un tournant. Ce coup de force s’accompagne de décisions économiques et de grands aménagements portuaires et urbains. Louis XIV ôte le pouvoir municipal aux nobles pour le confier aux négociants et aux bourgeois. En 1665, il décide de construire un grand arsenal des Galères et les forts Saint-Nicolas et Saint-Jean. En 1669, il accorde à Marseille le statut de port franc. L’agrandissement de 1666 triple la surface de la ville. La « ville nouvelle », aux artères rectilignes, enserre le port. Depuis 1668, un système de quarantaine sanitaire protège Marseille des contagions. Une grave imprudence sera cependant à l’origine, en 1720, de la dernière peste qui frappe la ville.
Des Lumières à la Révolution : Marseille, port mondial
« Allons enfants de la Patrie … »
Claude Joseph Rouget de Lisle, officier français, nuit du 25 au 26 avril 1792
L’essor commercial de Marseille, interrompu par la peste de 1720, reprend rapidement, notamment grâce à l’arrivée massive d’une population provençale et étrangère à la région.
À partir de 1748, le transfert de la plupart des galères à Toulon permet de consacrer pleinement le port au commerce, bien que l’espace libéré ne soit occupé qu’à la fin du siècle. Le commerce au long cours se développe d’autant plus que l’art de la navigation connaît des avancées significatives qui améliorent les traversées et leur précision. Le siècle des Lumières brille également à Marseille, notamment grâce à l’Académie des Belles-lettres, Sciences et Arts, fondée en 1726, qui existe toujours. Comme dans les autres grandes villes, la Révolution française y trouve un écho important.
Un port, des industries et des hommes : Marseille au XIXe siècle
« Marseille est maintenant ce que devait être la Perse dans l’Antiquité, Alexandrie au Moyen Âge : un capharnaüm, une Babel de toutes les nations [...]. Vous entendez parler cent langues inconnues [... ] tous les idiomes, ceux qu’on parle au pays des neiges, ceux qu’on soupire dans les terres du Sud. »
Gustave Flaubert, écrivain français, Par les champs et par les grèves, 1840
Les lendemains de la Révolution sont difficiles pour Marseille : elle souffre des conflits européens qui affectent le port et l’économie jusqu’en 1820. Mais la prise d’Alger par les troupes françaises relance dès 1830 l’attractivité de la ville. La population croît considérablement, passant de 130 000 habitants en 1830 à 550 000 en 1905. Avec le Second Empire, se produit un véritable éclatement urbain : développement des chemins de fer, création de nouveaux bassins portuaires au nord, grands travaux d’urbanisme, mise enplace progressive de faubourgs industriels où affluent les travailleurs des vallées alpines et del’Italie. Deux villes vont alors progressivement se dessiner : l’une d’extraction populaire au nord et l’autre de tradition bourgeoise au sud, chacune avec ses modes de vie, ses plaisirs, ses habitats. Largement ouverte sur la Méditerranée, et au-delà grâce aux compagnies maritimes désormais à vapeur, favorisée par son lien avec le monde colonial,l’expansion marseillaise est bien réelle au tournant du XXe siècle.
Marseille, porte des Sud
«Cette ville est une leçon […]. Attentive, elle écoute la voix du vaste monde et, forte de son expérience, elle engage, en notre nom, la conversation avec la terre entière. Une oriflamme claquant au vent sur l’infini de l’horizon, voilà Marseille.»
Albert Londres, journaliste et écrivain français, Marseille, porte du Sud, 1927
Marseille, en ce début du XXe siècle, est marquée par l’inauguration du pont à transbordeur, le développement du tramway, l’exposition sur les applications de l’électricité… Les expositions coloniales consacrent avec faste la volonté d’expansion de la France outre-mer, alors que la guerre qui éclate en 1914 est l’occasion de voir débarquer les « soldats de l’Empire » dans une ville située loin des affrontements. L’entre-deux-guerres confirme la mauvaise réputation qui frappe Marseille depuis la fin du XIXe siècle. Plusieurs événements malheureux entraînent, une fois de plus, la mise sous tutelle de la cité. Lors de ces années sombres, on peut pourtant relever des lueurs d’espoir : la ville accueille ceux qui fuient les totalitarismes et certains intellectuels lancent des ponts de compréhension et de tolérance, à l’image de la revue les Cahiers du Sud. Après la défaite de 1940, la ville-refuge, seul grand port français en zone libre, devient un foyer important de la Résistance. Mais celle-ci est durement réprimée, après novembre 1942, par les Allemands, qui multiplient les rafles, déportent massivement les juifs et détruisent en grande partie les quartiers nord du Vieux-Port. En août 1944, la libération de la ville par l’armée d’Afrique est précédée d’une insurrection populaire.
Marseille, ville singulère et plurielle
«Marseille est une énigme, une maison avec plusieurs portes et fenêtres toujours ouvertes.»
Tahar Ben Jelloun, écrivain marocain, La Nuit sacrée, 1987
Durant la seconde moitié du XXe siècle, Marseille est marquée par des phénomènes mondiaux, avec des répercussions pour cette ville portuaire ouverte sur la Méditerranée. La ville se relève difficilement des destructions de la Seconde Guerre mondiale. Elle connaît l’érosion de son industrie, de son port dont l’essentiel de l’activité se détourne vers Fos et l’étang de Berre. Par ailleurs, elle subit le choc de la décolonisation d’un point de vue économique et migratoire. En 1962, la ville accueille de très nombreux rapatriés qui fuient le climat de terreur en Algérie ainsi qu’une forte main-d’oeuvre maghrébine. Cette population est notamment logée dans de nouveaux bâtiments situés dans les quartiers nord et est. L’urbanisation atteint les collines, elle les franchit pour constituer de fait une vaste agglomération rejoignant les villes d’Aix, de Martigues et d’Aubagne. Le territoire métropolitain compte plus de 1,5 million de personnes qui y vivent, étudient et travaillent. Son image est contrastée : celle d’une ville pauvre, marquée par les règlements de comptes du banditisme, et celle d’une ville attractive, vivante, où la culture et le tourisme deviennent des facteurs de développement économique.