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Un cube mythique, 100 % naturel et 100 % marseillais

La Savonnerie du Midi a reçu le lundi 11 janvier le Label Entreprise du Patrimoine Vivant, la récompense des entreprises françaises qui font perdurer des savoir-faire traditionnels d’excellence.

Alors que l’hygiène des mains est plus que jamais au cœur de notre quotidien, retour sur la saga des savonneries marseillaises qui ont conquis le monde et transformé la ville.

Ces cubes blancs, verts ou beiges font partie de notre mémoire collective. De tous les produits de lavage, le savon de Marseille est de loin celui qui s’adapte le mieux à des usages variés pour une somme modique, tout en étant un puissant désinfectant naturel. Objet captivant, de fabrication quasi alchimique, il arbore fièrement le nom de la cité phocéenne mais son parcours révèle une longue saga mouvementée.

 

Une histoire gauloise, orientale et marseillaise

L’origine du savon de Marseille est gauloise ! Pline l’Ancien - chevalier romain avocat et fin lettré - décrit dans son ouvrage de référence Naturalis historia (Histoire naturelle) au 1er siècle, des peuplades gauloises utilisant un mélange de cendres de hêtre et de suif pour soigner leur chevelure et la blondir. 
On retrouve la trace de cette pâte nommée « sapo » au Proche-Orient, après la disparition des civilisations grecques et romaines : dans l’actuelle Syrie, des artisans fabriquent une pâte molle aux propriétés détersives, élaborée avec des graisses animales… 
Ce savon grossier traverse le Maghreb pour « passer » ensuite dans la péninsule ibérique, alors sous domination arabe. La saponification essaime dans le bassin méditerranéen, les graisses animales occupent une place prépondérante dans la composition du produit. Ce n’est que vers le VIIIe siècle que l’huile d’olive s’impose peu à peu, chauffée avec les soudes extraites de plantes littorales. On sait qu’au Moyen-Age, la saponification existe à Marseille, puisque le plus ancien artisan savonnier recensé dans les registres notariaux marseillais exerce en 1371. Il se nommait Crescas Davin, son fils Salomon lui succédera en 1404.

 

Un produit en plein essor

L’activité artisanale prend de plus en plus d’importance. Au XVIe siècle les fabricants marseillais font appel à des ouvriers italiens et espagnols qui apportent leur expertise. De leur côté, les Marseillais élaborent le processus de « la grande chaudière à liquidation ».
Au début du XVIIe, la Guerre de Trente ans marque l’arrêt de ce partage de pratiques et la production se concentre à Marseille. La savonnerie devient une importante ressource pour le royaume car Marseille, bénéficiant de sa position géographique, exporte à l’intérieur du territoire et bien au-delà, jusqu’en Égypte. Alerté par cette manne, le ministre Colbert décide de réglementer la production. Son fils, le marquis de Seignelay, alors Secrétaire d’État à la Marine fait promulguer en 1688 un édit de cinq étapes réglementant strictement le travail des fabriques. La particularité ? L’obligation d’employer des huiles d’olive pures, à l’exclusion de tout autre corps gras.
Les pratiques ont la réputation d’être secrètes et la réglementation sévère, gages de qualité : le savon devient un produit recherché en Europe et aux Antilles.
À la veille de la Révolution française, Marseille compte 65 fabriques produisant environ 25 000 tonnes de la précieuse marchandise…
 

Résister aux vagues de l’Histoire

La plupart des fabriques de savon sont situées dans le centre de la ville, près du Vieux-port, la proximité des navires constituant un avantage pour essaimer le produit à l’exportation.
Mais les guerres du Premier Empire entraînent un blocus maritime, la rupture de l’approvisionnement en matières premières et une flambée des prix de l’huile d’olive. Le chimiste Nicolas Leblanc inventera un procédé de soude artificielle pour pallier la pénurie des soudes ibériques..
Mais les savons à l’huile d’olive chauffée avec ce nouvel ingrédient se révèlent trop cassants à la découpe. Les savonniers marseillais s’adaptent et intègrent peu à peu d’autres huiles : de noix, de colza et de lin. À partir de 1845, tous ces savonniers phocéens recourent à ces huiles de graines oléagineuses, moins onéreuses que l’huile d’olive.

 

L’entrée dans la révolution industrielle

Au tournant du XIXe, les procédés de fabrication évoluent : la vapeur remplace le feu nu pour les chaudières, l’outillage se modernise. La savonnerie devient une production de masse travaillant selon le procédé traditionnel : empâtage, relargage, cuisson et liquidation.  
Au milieu du siècle, les savonneries se déplacent au nord de la ville pour répondre à leur besoin d’espace, résultat d’une production toujours croissante. Ainsi, naissent la fabrique du Fer à Cheval en 1856 et la Savonnerie du Midi en 1894 (14e et 15e arrondissements actuels).
Un chimiste français, François Merklen, fixe la composition physico-chimique du savon de Marseille. Ses travaux sont publiés en 1906 lors de l’Exposition coloniale et connaissent un grand retentissement. Et les savonniers sont devenus des hommes puissants, des notables proches du pouvoir. Ainsi, Jules Charles-Roux : il devient administrateur de la Banque de France à Marseille en 1877, adjoint au Maire délégué aux Finances, député des Bouches-du-Rhône en 1887, puis président de l’Union coloniale française et des Armateurs de France. 
En 1908, la production des 81 savonneries marseillaises avoisine les 140 000 tonnes.


Un produit de grande consommation soumis aux aléas du siècle

Au début du XXe siècle, l’usage s’est diversifié  et les contrefaçons se multiplient. Pour éviter les fraudes et la mauvaise qualité, les fabricants s’appuient sur la fameuse formule fixée par François Merklen. Le savon de Marseille doit comporter 63 % d’huile végétale, issue d’une deuxième pression à froid. Huile d’olive mais aussi de coprah – réputée pour ses propriétés moussantes – huile de palme et 9 % de soude ou de sel marin, complétés par 28% d’eau. 
En 1913, la production de savon de Marseille est de 180 000 tonnes et Marseille fournit 80 % du marché national.
La Première Guerre mondiale marque un coup d’arrêt dans cette production qui retrouve une grande vitalité dans l’entre-deux guerres. La pénurie de matières premières durant la Seconde Guerre mondiale est un nouveau coup dur : les savons ne comportent plus que 12 % d’huile.
 

 La résistance de la doyenne des industries de Marseille

Après la guerre, avec le développement de la société de consommation, l’apparition des poudres et des machines à laver dans les foyers mène la vie rude aux savonniers. La production est en chute libre. La vétusté des fabriques et le manque de compétitivité sur les marchés extérieurs signent l’entrée des savonneries dans des années noires. En 1958, il n’existe plus que 38 savonneries. 
Aujourd’hui, les derniers bastions de la savonnerie sont cantonnés dans le quartier de Sainte-Marthe, aux mains de passionnés qui savent composer avec les réalités de ce secteur parachimique et les contingences économiques. Le produit est reconnu, plus qu’un savon, il devient un emblème.
En 2013, Marseille est Capitale européenne de la Culture. Pour l’occasion, un immense cube de savon de trois mètres de haut, pesant 18 tonnes, est élaboré par la Savonnerie du Fer à Cheval et La Savonnerie du Midi. Surmonté d’un immense robinet d’eau supposé le faire fondre petit à petit, il sera victime de son succès, des Marseillais et des touristes prélevant régulièrement des morceaux de ce cube unique, comme un trophée souvenir !

Attachés à défendre le savon de Marseille traditionnel et à valoriser un savoir-faire, La Savonnerie du Midi, le Fer à Cheval, le Sérail et Marius Fabre (situé à Salon-de-Provence) sont à l’origine de l’Union des Professionnels du Savon de Marseille (USPM). Ce groupement créé en 2011 milite pour la création d’une IGPIA (Indication Géographique des Produits Industriels et Artisanaux).
Il sont les garants de ce savon végétal, 72 % d’huile, sans ajout de colorant, de parfum ou de conservateur.

Depuis 2018, la Savonnerie du Midi abrite le musée du Savon de Marseille et de la Savonnerie du Midi, aux Aygalades. La tradition du savon de Marseille, un des emblèmes de la ville, vendu dans le monde entier, doit se perpétuer.