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Hommage à Vincent Scotto, compositeur intemporel

Marinella, La petite Tonkinoise, Le plus beau tango du monde, J’ai deux amours… On doit à Vincent Scotto, ce père de la chanson populaire, près de 4 000 chansons et 60 opérettes. De Tino Rossi à Joséphine Baker en passant par le génial Bourvil, les plus grands artistes les ont interprétées. 

Georges Brassens déclarait à son propos : « Je leur laisse tout Wagner pour une chanson de Vincent Scotto ».

À quelques jours de l’anniversaire de la naissance du compositeur marseillais, retour sur la vie et l’œuvre immense de celui qui immortalisa une certaine idée du méridional en même temps que des airs conçus pour traverser le temps.


Un enfant de la Méditerranée

Vincent Scotto naît à Marseille le 21 avril 1874. Il est le fils de Pasquale Scotto d’Anielo et d’Antonia Intartaglia, des Italiens originaires de l’île de Procida (golfe de Naples). On peut supposer - vu le contexte de l’époque et leur patrie d’origine - qu’ils font partie de ces milliers d’immigrants venus de toute la Méditerranée, tenter leur chance à Marseille, ce grand port industriel qui brasse et digère des populations aimantées par l’espoir d’un travail et d’une vie meilleure…
Le petit Vincent débute très jeune son apprentissage de la guitare et, comme bien des enfants de son temps, fait ses études au sein d’une institution religieuse. Il l’a décidé, c’est sûr, la chanson sera son métier : jeune adulte, il anime les noces et banquets de la région marseillaise, accompagnant les chanteurs à la guitare. 
 

Le tournant

Vers 1905, Georges Villard écrit une chanson intitulée Le Navigatore.  Vincent Scotto, compositeur âgé de 31 ans,  quasiment inconnu à l'époque, en compose la musique. Il la propose à Pierre-Paul Marsalès, célèbre comme comique troupier sous le nom de Polin (il inspirera notamment Fernandel)… Alors de passage à l'Alcazar, haut lieu du music-hall marseillais, Polin goûte la mélodie, mais pas les paroles. Il met alors Scotto en relation avec Henri Christiné qui en réécrit le texte. La chanson évoque ainsi finalement un militaire finissant son service au Tonkin (*)
Souvenons-nous du contexte de l’époque : la France est à la tête d’un immense empire colonial dont les richesses transitent notamment par Marseille. Ce texte évoque l’amour (pas toujours courtois) d’un militaire pour une femme asiatique « indigène » disait-on, à qui l’on prête une lascivité timide, une naïveté et une douceur susceptible d’éveiller le désir – voire le romantisme - du plus compassé des militaires. Polin intègre La Petite Tonkinoise à son répertoire dès 1906. La chanson, dont le rythme pêche aux confluents de la musique militaire, de la polka et du tango, connaît un succès fulgurant. 
 

Paris, à nous deux !

Le succès de La petite Tonkinoise ouvre à Vincent la route vers Paris. Paris ! Ses cafés, ses music-halls, ses salles de concerts ! Il s’y installe, rue du Faubourg Saint-Martin. S’ensuit une production abondante de succès, comme J’ai deux amours (1930, interprété par Joséphine Baker), Prosper, Yop la boum ! (1935, interprété par Maurice Chevalier), Le Plus Beau Tango du Monde (interprété par Alibert et Mireille Ponsard, dans l’opérette (**) Un de la Canebière). 
Les opérettes justement, popularisent Vincent Scotto via la série des « opérettes marseillaises » sur des livrets de René Sarvil et Alibert. Elles mettent en scène des méridionaux pleins de cœur et de « tchatche » aux aventures rocambolesques, comme dans Un de la Canebière et sont jouées dans plusieurs grandes villes du pays, dont Paris.
Sans oublier les musiques de films, plus de 200, notamment celles des films de son ami Marcel Pagnol, un autre enfant du soleil et du mistral devenu célèbre.


L’héritage

Musiques de films, romances, chanson patriotique exaltant une France éternelle et comme apolitique, chanson comique… Difficile de ne pas trouver un genre auquel Vincent Scotto ne se soit attaqué.
Populaire au sens noble du terme, exaltant aussi bien une douce mélancolie que le rire et la joie, qu’il s’agisse d’évoquer l’écho des rues trempées du soleil méridional ou que les airs servent de miroir doucement déformant des aléas de son époque (la guerre), Vincent Scotto a su exister en tant que conteur. C’est peut-être pour cela que ses titres sont farouchement intemporels
Des mélodies enracinées dans nos mémoires, des airs entêtants, obsédants, semblant franchir allègrement les générations. On pourrait alors le dire selon les termes d’Henri Contet, parolier, auteur du titre Padam interprété par Edith Piaf « Cet air qui m’obsède jour et nuit, cet air n’est pas né d’aujourd’hui ».


* une partie du Viêt-Nam actuel
** l’opérette est un genre musical, mêlant comédie, chant et danse.