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Fernandel toujours dans le coeur des Marseillais

Une "gueule de cheval", des yeux qui pétillent, une carrière éblouissante au music-hall mais aussi des films qui attirèrent plus de 200 millions de spectateurs… Fernand Contandin dit Fernandel est une des figures marseillaises connues de tous les Français mais aussi au-delà. Star du cinéma, il fut la vedette de nombreux films qui sont devenus des classiques et également un chanteur populaire.
Retour sur la carrière et la vie de l’artiste qui, selon Marcel Pagnol, "ne peut être comparé qu’à Charlie Chaplin" et dont De Gaule avait dit un jour qu'il était  "le seul Français plus célèbre que [lui] dans le monde."

 

Tout commence à Marseille, même un (sur)nom

Fernand Joseph Désiré Contandin naît le 8 mai 1903 au 72 boulevard Chave dans le 5e arrondissement de parents piémontais. Son père exerce le métier de comptable tout en se produisant en tant que comédien-chanteur amateur. Très vite, Fernand et son frère aîné Marcel le suivent sur les planches des petits théâtres de la banlieue marseillaise. Premières chansons, premiers succès : prix des enfants prodiges au théâtre du Châtelet et un triomphe au Palais de cristal, haut lieu du music-hall situé au 32 allées de Meilhan (actuel emplacement de la Faculté de droit de l’Université Aix-Marseille, 110 et 112 la Canebière).

La Première Guerre mondiale marque un coup d’arrêt : le père de Fernand est mobilisé, le jeune homme doit gagner sa vie. Il entre en 1915 à la Banque Nationale de Crédit comme garçon de courses. Il y fait une rencontre décisive, l’amitié d’une vie : Jean Manse. Le jeune Fernand ne sait pas encore qu’il vient de rencontrer son futur beau-frère !

Les petits métiers s’enchaînent : savonnerie, papeterie, la Compagnie d’Électricité, l’usine de textile, docker… Fernand épouse le 4 avril 1925 Henriette Manse, la sœur de Jean, qu’il aimera toute sa vie. Madame Manse, mère de Jean et Henriette, avait coutume de s’exclamer lorsque Fernand rendait visite à sa fille "Voilà le Fernand d’elle !", allusion à la profonde affection du jeune homme envers sa fille… Fernandel est né !
 

Tourlourou, scène et cinéma

Fernandel effectue son service militaire et est libéré en 1926, peu de temps avant la naissance de sa fille aînée… Résigné à oublier les planches, il travaille à la savonnerie du Fer à Cheval lorsque Louis Valette, directeur de l’Odéon et grand détecteur de talent, lui donne sa chance. Fernandel est engagé "au pied levé" pour remplacer un artiste parisien conspué.  Succès ! Il incarne le tourlourou, un comique troupier qui chante.

Un soir, Jean Faraud, directeur français de la Paramount, assiste au spectacle. Séduit, il engage l’artiste pour animer les entractes des cinémas dans toute la France. À Paris, nouveau contrat avec le circuit des cinémas Pathé. Son père décède la même année, en 1930. Fernandel reste à Paris, persuadé qu’il doit poursuivre sa carrière. Les succès au music-hall s’enchaînent : Casino de Paris, Théâtre Mogador, Théâtre de l’Empire… Frappé par l’aisance et le physique particulier de l’artiste, le réalisateur Marc Allégret engage Fernandel pour un rôle de groom dans son film Le Blanc et le Noir. C’est le tout premier passage devant la caméra et la rencontre sur le tournage de deux grands artistes devenant des amis pour la vie : Raimu et Sacha Guitry.

Tout va très vite, les tournages se succèdent à un rythme effréné : Fernandel tourne 43 films entre 1930 et 1939, tout en continuant à se produire sur scène pour chanter.
Cette boulimie de travail amène une nouvelle rencontre capitale : l’auteur et réalisateur Marcel Pagnol. Entre les deux hommes, la fusion est immédiate et Fernandel enchaîne avec lui des rôles qui marquent le public comme dans Le Schpountz (1938) ou La Fille du puisatier (1940).

Suivent une pléthore de chansons : l’artiste enregistre plusieurs centaines de titres dans toute sa carrière… Les années 30 sont l’occasion d’immenses succès gravés dans notre mémoire collective comme Félicie aussi (1939) ou Ignace (1935).

D’où vient cette frénésie de travail? Peut-être des années noires où il enchaîne les petits boulots ? Ou encore d’un immense besoin de reconnaissance ? Fernand sait en effet qu’il possède " une gueule de cheval"… Quitte à avoir "une gueule" autant en profiter ! Très vite, Fernandel sut retourner la situation à son avantage, jouant de mimiques, de gestes, il subjugue son public, captant son attention par des interruptions dans son numéro avec des intonations, des roulements d’yeux, tout en faisant varier sa voix dans tous les registres. Il met au point ce que l’on nommera plus tard dans les spectacles de stand-up "un crochet", soit capter l’attention de la salle avec une pause et une gestuelle.
 

Vedette

Fernandel est devenu une vedette… Ce qui ne l’empêche pas d’être mobilisé en 1939. Créateur de désordres et déjà célèbre, il est détaché avec Marcel Pagnol au service cinématographique des Armées. Comme beaucoup de grands artistes sous l’Occupation - dont Édith Piaf - il continue de se produire sur scène et de chanter.

Fin de la guerre en 1945, autres temps, autres mœurs… Le music-hall s’efface au profit du cinéma qui devient omniprésent dans la vie publique. Les rôles, les succès défilent : L’Auberge rouge (1951) de Claude Autant-Lara, Ali Baba et les Quarante voleurs (1954) de Jacques Becker ou encore La Vache et le Prisonnier (1959) d’Henri Verneuil…
Précurseur Fernandel ? Il fédère en effet le public à la "série" des Don Camillo, tirés de l’œuvre de Giovannino Guareschi où il incarne un prêtre. Six films en tout et un dernier inachevé.

En 1963, il fonde avec Jean Gabin – un autre grand ami – la société de production Gafer. La même année, il est lauréat du prix Courteline de l’humour et tourne avec Bourvil, un autre "grand", dans La Cuisine au Beurre, de Gilles Grangier.

 

Fin d’une époque et immense héritage

La guerre froide bat son plein, un général héros de la guerre de plus en plus contesté dirige le pays, la décolonisation est en route… Mai 68 emporte tout sur son passage, les "jeunes" - on ne dit pas encore baby-boomers - revendiquent, déclenchent des manifestations dans l’Europe entière… Cette même année, Fernandel interprète à la télévision plusieurs titres dont Félicie aussi, dans la tradition du music-hall avec orchestre, alors même qu’il développe un kyste cancéreux.
En 1970, il reçoit le Grand Prix du cinéma français, son 17e titre honorifique qui sera aussi le dernier.

Épuisé mais toujours alerte, il donne une dernière interview pour la télévision en 1971, quelques temps avant sa disparition. Un dernier Don Camillo demeurera inachevé en raison de l’état de santé de son acteur principal. Surmené, l’artiste est brièvement hospitalisé avant de décéder d’un arrêt cardiaque dû à un cancer généralisé à son domicile parisien, avenue Foch. Inhumé au cimetière de Passy, il lègue un immense patrimoine musical et cinématographique qui inspirera bon nombre de comédiens et d’humoristes.

Comment conclure en quelques mots sur cette carrière, ce nom, cet humour et cette tendresse qui le firent tant aimer ?

On le dira alors selon les paroles de la chanson Ignace** :

"J' pourrais, attention
M'appeler sans prétentions
Machin, Chose ou bien Tartempion
On n' l'a pas voulu
Mais je suis convaincu
D'avoir un nom qui est rudement beau !
Mais en vérité
Je le dis sans me flatter
Ça me fait une personnalité."


Adessias* Fernandel...

* "au revoir" en provençal
** parolier Jean Manse, musique et direction d’orchestre Roger Dumas.

 

Galerie photos



Légendes photos :
- Photo 1 : Fernandel dans Boniface somnambule, Affiche Coll. Musée d'Histoire de Marseille
- Photo 2 : Fernandel dans Ferdinand le noceur, Affiche Coll. Musée d'Histoire de Marseille
- Photo 3 : Fernandel, Affiche Coll. Musée d'Histoire de Marseille
- Photo 4 : Émile l'Africain, Affiche Coll. Musée d'Histoire de Marseille
- Photo 5 : Fernandel. L'aventure de Gonfaron, Affiche Coll. Musée d'Histoire de Marseille
- Photo 6 : Émile l'Africain avec Fernandel, Affiche Coll. Musée d'Histoire de Marseille
- Photo 7 : Le Prisonnier et son chameau, Fernandel, Affiche Coll. Musée d'Histoire de Marseille
- Photo 8 : Portrait de Fernandel, Pirotte Julia. (c)Fonds du Musée d'Histoire de Marseille- Droits Réservés
- Photo 9 : Fernandel, sculpture, Choquin Jacques, Fonds communla d'art contemporain
- Photo 10 :  Buste en bronze de Fernandel signé Jacques Choquin en 2008 - Angle des boulevards Eugène Pierre et Chave non loin de la maison de naissance de l'artiste au 72, boulevard Chave (5e)