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Résistante et antiraciste, Joséphine Baker entre au Panthéon

De Joséphine Baker le public retient généralement un kaléidoscope d’images : spectacles de music-hall résolument provocateurs, ses douze enfants adoptés, ses maris… Saviez-vous qu’elle fut résistante, engagée dans les services secrets de la France libre au péril de sa vie ? Qu’elle a été faite chevalier de la Légion d'honneur et reçu la Croix de guerre avec palme ? Qu’elle aimait profondément Marseille, ville de fraternité, selon elle ?

Le retour sur son parcours extraordinaire permet de lui rendre hommage, alors que le chef de l’État vient de valider son entrée au Panthéon, le 30 novembre prochain.

Joséphine Baker, artiste, féministe, activiste et résistante intégrera le Panthéon cette année. C’est la première femme noire à reposer dans la nécropole laïque. La date retenue est le jour anniversaire de son mariage avec Jean Lion, qui lui a permis d’obtenir la nationalité française en 1937.

 

Des débuts difficiles dans les tourments de l’Histoire

Freda Josephine McDonald naît dans le Missouri le 3 juin 1906, d’un métissage où se mêlent des origines espagnoles, afro-américaines et amérindiennes, au sein d’une famille d’artistes très pauvre.
Les débuts de son existence se font sous le signe de la difficulté, dans un état qui fut au coeur des enjeux abolitionnistes de la guerre de Sécession aux États-Unis (1861-1865). Avec ses 620 000 morts, elle demeure le conflit le plus meurtrier qui ait ensanglanté l’histoire du pays. 

Au moment où la petite Joséphine ouvre les yeux, la guerre hispano-américaine (1898-1901) vient de s’achever. La doctrine de la suprématie blanche, de la supériorité anglo-saxonne sert à justifier un mouvement de colonisation de ces territoires jadis hispaniques.
Joséphine doit travailler très tôt, alternant école et travail de peine. Elle se marie à treize ans, divorce en 1920 et se remarie avec Willie Baker. Elle conservera ce nom toute sa vie.

Pratiquant la danse depuis l’enfance, elle décide de se lancer dans l’aventure du music-hall et gagne Broadway, laissant derrière elle Willie. Après des débuts capricieux, elle retient l’attention de Caroline Dudley Reagan. Cette mondaine, épouse de l'attaché commercial de l'ambassade américaine à Paris, Donald J. Reagan, détecte en Joséphine un grand potentiel. Elle lui offre 250 dollars par semaine pour accepter de la suivre en France où Reagan veut monter un spectacle dont Joséphine Baker sera la vedette : la Revue nègre.

 

Arrivée en France : « A Star Is Born »*

Le 2 octobre 1925, elle passe en première partie dans la Revue nègre au théâtre des Champs-Élysées et fait salle comble. Quasiment nue, vêtue d'un pagne et de fausses bananes, elle danse au son du charleston, dans un décor de savane au rythme des tambours. C’est le succès !
Joséphine n’en revient pas, car après la Première Guerre mondiale, le regard porté sur les Noirs en France a changé, et, dans le Paris des Années folles, l’esthétique nègre est à la mode, le jazz résonne et son travail d’artiste est admiré.

En 1927, elle est aux Folies Bergère pour une revue où elle porte plumes roses et une ceinture de bananes – entrée dans l’histoire - visible aujourd'hui au Château des Milandes. 
Cette même année, elle se lance dans la chanson, suivant les conseils de son nouvel impresario et amant, Giuseppe Abattino (dit « Pepito »).

Henri Varna, directeur du Casino de Paris, l'engage pour mener la revue de la saison 1930-1931. En 1931, elle remporte un succès inoubliable avec la chanson "J'ai deux amours" composée par le Marseillais Vincent Scotto (1874-1952). 

La reconnaissance et le succès sont bien là ! Elle tâte un peu du cinéma, part pour les États-Unis en 1935 pour une grande tournée plutôt décevante. Elle en gardera toute sa vie un goût amer et, plus que jamais, son coeur bat pour cette France qui lui donne tant : argent, succès et reconnaissance en tant qu’artiste et modèle inspirant…

Elle acquiert la nationalité française en épousant un courtier en sucre Jean Lion, le 30 novembre 1937 à Crèvecœur-le-Grand. (Giuseppe Abattino est décédé en 1936).
Le couple s'installe au château des Milandes (commune de Castelnaud-Fayrac, aujourd'hui Castelnaud-la-Chapelle) en Dordogne. Jean Lion est juif et souffrira des persécutions antisémites. 

 

La Seconde Guerre mondiale et l’engagement

Dès le début de la guerre, Joséphine Baker devient un agent du contre-espionnage français. À cet effet, elle fréquente la haute société parisienne, puis se mobilise pour la Croix-Rouge.

Après la cuisante défaite de la bataille de France, elle s'engage le 24 novembre 1940 dans les services secrets de la France libre, en France puis en Afrique du Nord.
Installée au Maroc entre 1941 et 1944, elle soutient les troupes alliées et américaines et se lance dans une longue tournée en jeep, de Marrakech au Caire, puis au Moyen-Orient, recueillant des informations auprès des officiels qu'elle rencontre. Joséphine prend des risques, les artistes noirs ou Juifs sont repérés et surveillés par le régime de Vichy. En outre, elle a été très malade en 1942 et faillit mourir...

S'acquittant durant la guerre de missions importantes, elle reste connue pour avoir utilisé ses partitions musicales pour dissimuler des messages. Engagée dans les forces  de l'armée de l'air, nommée sous-lieutenant, elle débarque à Marseille en octobre 1944 aux côtés des Forces Françaises Libres en provenance d'Afrique du Nord. À la Libération, elle poursuit ses activités pour la Croix-Rouge, et chante pour les soldats et résistants près du front, suivant avec ses musiciens la progression de la 1e armée française…

En 1967, elle est interviewée par la télévision française alors qu’elle s’apprête à une tournée dont la première date est à Marseille, salle Vallier ! But de la tournée ? Venir en aide aux sinistrés de l'ouragan en Guadeloupe.
Elle y évoque son arrivée à Marseille durant la Seconde Guerre mondiale lors du débarquement à Marseille. « Marseille est une ville d'amour, d'affection et de compréhension », déclare l'artiste. On peut voir l’artiste échangeant avec des Marseillais, en pleine rue, avec simplicité et bonne humeur.

 

Une reconnaissance de Résistante tardive

La France qui la vénère en tant qu’artiste n’est visiblement pas pressée de reconnaître publiquement son immense engagement.

Les autorités militaires manifesteront beaucoup de réticence à reconnaître son action, rejetant à deux reprises, en 1947 et en 1949 la proposition de sa nomination comme chevalier de la Légion d'honneur. Il faudra l'intervention du général Billotte, chef d'état-major particulier du Général de Gaulle, du général Bouscat, chef d'état major général de l'armée de l'air et d'Alla Dumesnil-Gillet, supérieure hiérarchique de Joséphine Baker en Afrique du Nord, pour que Joséphine obtienne enfin la reconnaissance officielle qu'elle mérite pour son engagement patriotique.

Par décret du 9 décembre 1957, elle est faite chevalier de la Légion d'honneur et reçoit la Croix de guerre avec palme. 

 

Après la guerre : « I Have a Dream »**

Joséphine épouse le compositeur Jo Bouillon en 1947. Elle acquiert le château des Milandes en Dordogne où elle vivra jusqu'en 1969. Elle y accueille douze enfants de toutes origines qu'elle a adoptés et qu'elle appelle sa « tribu arc-en-ciel ». En effet, suite à l’accouchement d’un enfant mort-né, elle contracta une infection et dut subir une hystérectomie en 1941. Elle ne pourra jamais plus porter d’enfant.
Séparée de Jo Bouillon en 1961, elle dilapide sa fortune dans le domaine des Milandes et doit multiplier les concerts pour poursuivre son œuvre. 

Certainement hantée par le souvenir de ses débuts si difficiles, sa conviction est faite : les hommes et les femmes doivent être libres et égaux en droits et les Noirs et les Blancs également.

Dans un contexte de grandes tensions, Joséphine retourne aux États-Unis pour soutenir le mouvement des droits civiques du pasteur Martin Luther King. 

Elle participe en 1963 à la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté organisée par Martin Luther King, lors de laquelle elle prononce un discours, vêtue de son ancien uniforme de l’Armée de l’air et de ses médailles de résistante. À cette époque, elle est investie dans l’action de la LICA, devenue la LICRA en 1980 (La Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme, une association luttant contre le racisme et l'antisémitisme en France, mais également sur le plan international).

 

Fin de vie : « The Show Must Go On »***

Joséphine est criblée de dettes et connaît de graves problèmes d’argent. Plusieurs artistes reconnus se mobilisent pour lui venir en aide, dont Brigitte Bardot ou Jean-Claude Brialy. Finalement la princesse Grace de Monaco (Grace Kelly) amie de la chanteuse, lui offre un logement à Roquebrune pour le reste de sa vie et l’invite à Monaco pour des spectacles de charité.
Soutenue par la Croix-Rouge, Joséphine Baker remonte sur la scène parisienne de l’Olympia en 1968 et tourne dans toute l’Europe jusqu’en 1974.

Le 24 mars 1975, pour célébrer ses cinquante ans de carrière, elle inaugure la rétrospective Joséphine à Bobino, dont le prince Rainier III et la princesse Grace figurent parmi les mécènes. Dans la salle sont réunies des personnalités publiques et des célébrités du monde entier. Ce spectacle, pour lequel toutes les places avaient été vendues des semaines à l’avance, est un immense succès.

Le 10 avril 1975, Joséphine Baker, victime d’une attaque cérébrale est transportée dans un coma profond à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, où elle meurt, le 12 avril, à 68 ans.

Elle reçoit les honneurs militaires, des funérailles catholiques sont célébrées le 15 avril 1975 à l’église de la Madeleine, à Paris. Après des obsèques le 19 avril 1975 à l’église Saint-Charles de Monte-Carlo, elle est inhumée au cimetière de Monaco.

 


* signifie en français : Une étoile est née
** signifie en français : « J’ai fait un rêve », une des phrases les plus célèbres du discours du pasteur Martin Luther King en faveur de l’égalité des Noirs et des Blancs aux États-Unis.
*** signifie en français : Le spectacle doit continuer