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Inauguration d'une stèle en hommage à Vladimír Vochoč (1894-1985)

 

La Ville de Marseille s’attache à transmettre l’Histoire et rendre hommage à la mémoire des hommes, femmes, enfants qui ont agi pour la liberté durant la Seconde Guerre mondiale.

Pour remplir ce nécessaire devoir de mémoire, la Ville de Marseille va inaugurer - le 26 janvier 2024 devant le consulat général des États-Unis -  une plaque commémorative en l’honneur de Vladimír Vochoč.

Elle vient s’accoler à celle installée depuis 2014 en hommage à Varian Fry, sur la place devenue éponyme. Les deux hommes ont été reconnus “Juste parmi les Nations” par le mémorial Yad Vashem (institut international pour la mémoire de la Shoah). Chacun de leur côté, puis en collaboration, ils ont sauvé des milliers de personnes, en particulier des juifs, réfugiés en zone libre dans l’espoir de fuir la barbarie nazie. 

Vladimír Vochoč (1894-1985)  en bref

Avocat et diplomate, consul de Tchécoslovaquie à Marseille de 1938 à 1941, Vladimír Vochoč travaille avec Varian Fry à fournir des passeports tchécoslovaques aux intellectuels et aux militants antifascistes de toutes nationalités, dont de nombreux juifs.
De retour en Tchécoslovaquie en 1948, Vladimír Vochoč est condamné pour trahison dans un procès truqué et passe près de sept ans en prison. Il meurt dans l’anonymat.
En 2016, il reçoit le titre de « Juste parmi les Nations ».

 

Traduction en tchèque

Právník a diplomat, v letech 1938-1941 československý konzul v Marseille. Ve spolupráci s Varianem Fryem vydával československé pasy intelektuálům a bojovníkům proti fašismu různých národností, včetně mnoha Židů.
Po návratu do Československa v roce 1948 byl Vladimír Vochoč ve vykonstruovaném procesu odsouzen za velezradu a strávil téměř sedm let ve vězení. Zemřel v zapomnění.
V roce 2016 mu byl udělen titul « Spravedlivý mezi Národy ». 

Varian Fry et Vladimír Vochoč : destins croisés de “Justes parmi les Nations” à Marseille 

C’est à Marseille, après la débâcle de la France et l’instauration du régime de Vichy, que se noue le destin commun de Varian Fry et de Vladimír Vochoč.
Le premier est un journaliste engagé. Après un séjour en Allemagne dans les années 1930, il comprend le danger que représente le régime nazi.
Le deuxième est un juriste, spécialiste du droit international, dévoué à sa toute jeune république tchécoslovaque. 

 

Marseille ville-refuge

Varian Fry arrive à Marseille en août 1940. Il est envoyé par l’Emergency Rescue Committee (ERC, francisé en « Centre américain de secours », ou C.A.S.) dans la cité phocéenne, avec une liste de 200 noms et 3 000 dollars dissimulés dans ses vêtements pour préparer son action. Sa mission : la mise en place d’une organisation d’assistance pour les écrivains, les artistes, les scientifiques et universitaires européens menacés. Très vite, elle prend de l’ampleur et le séjour de Varian Fry, censé être temporaire, se prolonge. 

À ce moment-là, Vladimír Vochoč, lui, vient tout juste de revenir à Marseille. Nommé consul de Tchécoslovaquie en mai 1938, il a été forcé de passer quelques mois à Paris, de février à juin 1940. La situation est tendue dans les services diplomatiques tchécoslovaques. D’ailleurs, officiellement, le pays n’existe plus en tant que tel. Après les accords de Munich, La Tchécoslovaquie est abandonnée aux mains de l’Allemagne qui annexe les régions frontalières des Sudètes. Hitler rentre dans Prague en mars 1939 et transforme le pays en deux Etats satellites : le protectorat de Bohême-Moravie, dirigé par un Reichprotektor nommé directement par le Führer et un Etat fantoche en Slovaquie. 

Pourtant, pendant cette période, le consulat tchécoslovaque à Marseille continue de fonctionner, suivant l’exemple de l’ambassade parisienne, protégée par les autorités françaises. Mais une fois la France occupée, en juin 1940, le corps diplomatique tchécoslovaque s’enfuit. Vochoč est à la frontière espagnole le 22 juin, jour de l’armistice, lorsqu’il comprend que le pays va être divisé en deux zones, dont une zone dite libre. Il décide alors de rentrer à Marseille. Il rouvre le consulat laissé à l’abandon, et reprend ses activités : procurer des papiers à ceux qui doivent partir. Avant la guerre, le consulat travaillait beaucoup pour évacuer les brigadistes tchécoslovaques revenus d’Espagne. Désormais, Vochoč fournit des papiers à des ressortissants de toutes nationalités, notamment des juifs allemands et autrichiens. 

 

Des passeports tchécoslovaques pour le Comité Fry

Vladimír Vochoč et Varian Fry font connaissance durant l’été 1940. À cette époque, Varian Fry accueille encore les réfugiés dans sa chambre de l’hôtel Splendide, au 31 boulevard d’Athènes. Il installera ensuite son comité au 60 de la rue Grignan puis au 18 du boulevard Garibaldi. 

Le consulat tchécoslovaque se situe quant à lui, au 57 rue de la République et est lui aussi très fréquenté. Au numéro 37 de la même rue, il est renforcé par un Centre d’aide tchécoslovaque, fondé par un autre américain, Donald A. Lowrie. Lowrie est un proche du premier président tchécoslovaque Masaryk. Il œuvre en Russie et en Europe depuis la Première Guerre mondiale pour différentes organisations qui s’occupent des prisonniers de guerre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il coordonne l’aide humanitaire en France. 

C’est lui qui présente le “courageux et énergique” consul tchécoslovaque à Varian Fry. Fry, lui, le voit comme un « diplomate de la vieille école [...] qui a la sagesse de se rendre compte que son pays a été envahi par les nazis et qu’il ne sera pas libéré par les voies légales ». Les deux hommes concluent néanmoins un marché. Vochoč établit des passeports à la demande de Fry, et celui-ci en finance l’impression « à Bordeaux, en Zone occupée, au nez et à la barbe des Allemands. C’est du joli boulot », commente le journaliste américain. L’impression est, par la suite, transférée à Marseille. Du fait de la pénurie de papier, les passeports, à la différence des originaux en vert, sont imprimés sur du papier rose !

 

Villa Air-Bel et échappée belle 

Il est impossible de savoir aujourd’hui combien de passeports tchécoslovaques Vladimír Vochoč a édités pour le compte des protégés de Varian Fry. Ce dernier, comme le souligne l’Institut Yad Vashem, a « mis en place un processus multiforme », ayant recours autant « à des méthodes légales qu’à des méthodes illégales ». Varian Fry s’appuyait aussi sur d’autres consulats étrangers (Mexique, Portugal) et d’autres organismes de sauvetage. 

De la même façon, les passeports tchécoslovaques de Vochoč n’étaient pas uniquement destinés aux réseaux de l’Américain. Ainsi, le diplomate tchèque aurait d'ailleurs fourni des faux papiers à Jean Moulin, futur chef du Conseil national de la Résistance. Il est certain cependant que les deux hommes, par leur action, ont permis à plusieurs milliers de personnes de fuir l’Europe en guerre, les arrestations, les rafles, les camps…

Entre l’été et l’hiver 1940, la pression sur les activités des deux hommes augmente progressivement. La veille de la visite du maréchal Pétain à Marseille, en décembre 1940, la police de Vichy effectue une grande perquisition à la Villa Air-Bel. C’est en effet là que Varian Fry loge depuis l’automne 1940 les artistes et intellectuels en attente. La villa Air-Bel, surnommée “Château Espère-visa” devient ainsi un foyer du surréalisme, avec la présence d’André Breton, de Victor Serge, d’Alma Mahler, de Max Ernst et bien d’autres…

Lors de cette descente de police, une dizaine de personnes sont arrêtées et envoyées sur le paquebot “Sinaïa” amarré à la Joliette et transformé de facto, en prison flottante. 

C’est le jeune avocat Gaston Defferre qui intervient pour libérer Varian Fry. Ce dernier reprend ses activités jusqu’en août 1941, date à laquelle la police décide de l’expulser. Il est escorté jusqu’à la frontière espagnole. 

Vladimír Vochoč est lui aussi surveillé. Convoqué à plusieurs reprises par la préfecture, il est finalement arrêté en mars 1941. Assigné en résidence surveillée dans une petite ville de Corrèze, il s’enfuit, de façon plutôt rocambolesque, en prenant simplement un train qui le mène également à la frontière espagnole.
 

Anonymat et reconnaissance posthume 

Vladimír Vochoč transite par Lisbonne, comme la plupart des réfugiés qu’il a aidé à fuir, avant de rejoindre le gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres.
Varian Fry, de son côté, rentre à New-York et tente par tous les moyens d’alerter l’opinion publique américaine, notamment sur le sort de Jean Gemähling qui lui a brièvement succédé au C.A.S., et qui est emprisonné au fort Saint-Jean à Marseille. Il tente d’alerter sur la situation dans les camps nazis avec un article intitulé "Le massacre des juifs en Europe" dans The New Republic.

Ses prises de position déplaisent au gouvernement américain et à ses anciens mandataires de l'Emergency Rescue Committee. Il perd son emploi au Foreign Policy Association et sera même inquiété en 1950 par la Commission des activités anti-américaines (Mac Carthy). Il meurt à l’âge de 59 ans, en 1967.

Le destin du diplomate tchécoslovaque est encore plus tragique. Fidèle serviteur de son pays, il rentre à Prague en 1946 et fait part de son désir de continuer à travailler aux Affaires étrangères, même après la prise de pouvoir du Parti communiste. Mais c’est d’un procès politique qu’il écope en 1954. Il est condamné à 13 ans de prison pour trahison, accusé de collaboration avec les “Forces impérialistes”. Libéré au bout de 6 ans, il est mis à la retraite et meurt en 1985. 

Varian Fry reçoit une reconnaissance tardive quelques mois avant son décès en recevant le titre de Chevalier de la Légion d'honneur au consulat français de New York. Il est aussi le premier Américain à être reconnu "Juste parmi les Nations", en 1995. 

Vladimír Vochoč reçoit quant à lui, le titre de “Juste parmi les Nations” en 2016, après avoir été nommé à titre posthume “Ambassadeur honoraire” par le ministre des Affaires étrangères tchèque Jan Kavan en 2000. 

Tous deux partagent désormais un lieu de mémoire dans le centre-ville de Marseille. 

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