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Le Corbusier et la Cité radieuse de Marseille

En novembre 2022, la Cité radieuse, située dans le 8e arrondissement, a célébré ses 70 ans d’existence. Construite d’après les plans de l’architecte Le Corbusier, la « maison du Fada » comme aiment à l’appeler les Marseillais, fait partie des sept sites provençaux classés au patrimoine mondial de l’Unesco – et le seul monument marseillais à pouvoir se targuer d’une telle distinction. Qu’a donc de si spécial cette « Unité d’habitation » ? 

La Cité radieuse est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco en juillet 2016, avec 17 autres édifices signés de Charles-Édouard Jeanneret, mondialement connu sous le pseudonyme de Le Corbusier. Cette liste de l’Unesco est une série transnationale ; elle a classé, avec le monument marseillais, des constructions situées au Japon, en Inde, en Argentine, et dans plusieurs pays d’Europe. L’Unité d’habitation marseillaise revêt néanmoins un caractère particulier. 
 

L’aboutissement d’un long processus

Quand Le Corbusier se voit confier le chantier marseillais, à la fin de l’année 1945, cela fait déjà de nombreuses années qu’il ambitionne la construction d’un grand ensemble d’habitations. L’architecte franco-suisse, figure de proue du modernisme, a en effet élaboré plusieurs projets architecturaux de grande envergure. Pourtant, pendant la première partie de sa carrière d’architecte, il construit et aménage avant tout des villas, maisons, pavillons. Certaines sont reconnues comme des œuvres majeures, comme la Maison la Roche et Jeanneret, construite à Paris entre 1923 et 1925, la petite maison au bord du lac Léman, ou la villa Savoye à Poissy en 1928. 

Le Corbusier, avant d’être architecte, a été formé aux arts décoratifs. Il peint et dessine énormément, tout au long de sa vie. Jeune, il voyage à travers toute l’Europe, en passant par Prague, Vienne, Budapest, les Balkans, la Turquie, la Grèce et l’Italie. Il rencontre certains représentants des nouveaux courants artistiques majeurs du début du XXe siècle – Gustav Klimt par exemple – et  se retrouve subjugué par la pureté de l’architecture antique grecque à Athènes. 

Le Corbusier écrit également beaucoup, des études, essais, poésies, et dans la revue « L’esprit nouveau », dont il est le cofondateur ; c’est donc aussi avec des mots qu’il pose ses réflexions sur la fonction d’habiter, l’architecture, l’urbanisme et la « maladie des villes » qu’il convient, selon lui, de soigner. Il y expose des concepts dont il est l’instigateur comme le purisme qui défend des lignes simples et un « retour à l’ordre », ou le brutalisme qui prescrit le recours à des matériaux bruts et notamment au béton armé dont il se fait un ardent défenseur. 

Le contexte politique, économique et social de son époque influence également beaucoup les conceptions architecturales du Corbusier. Il élabore, en 1914, la maison « Dom-Ino », qui restera à l’état de projet, mais visait à reconstruire à toute vitesse, sur le modèle du taylorisme, les maisons détruites dans les Flandres par le début du premier conflit mondial. 
L’Unité d’habitation de Marseille répond elle aussi à un contexte de crise du logement après la Seconde Guerre mondiale. 
 

De la « ville radieuse » à la « cité radieuse »

Avec la Cité radieuse de Marseille, Le Corbusier peut enfin réaliser un projet de grande ampleur tel qu’il le désirait depuis longtemps. 

En 1922 déjà, il avait conçu un projet gigantesque de « ville pour trois millions de personnes », composée de barres d'immeubles d’habitations et de centres d'affaires, entourés d'espaces verts et traversés par de grandes et larges routes – il considère l'automobile comme un objet de la modernité auquel les villes doivent s’adapter.
Cette vision de la ville nouvelle est transposée dans son « plan Voisin » de 1925 qui prévoit de raser des dizaines d'hectares de la rive droite du vieux Paris (le Marais jusqu’à la Gare de l’Est, les quartiers autour du Louvre), pour « moderniser » la capitale. Fort heureusement, ce plan Voisin restera à l'étape de projet. 

Autre entreprise titanesque qui n’a pas vu le jour : le réaménagement d’Alger, dit « projet obus », avec des constructions de gratte-ciel, d’immeubles d’habitations, et une autostrade le long de la côte, sur les falaises, montée sur une structure de béton de plusieurs dizaines de mètres à l’intérieur de laquelle auraient été aménagées des habitations pour 180 000 foyers. 
C’est donc avec beaucoup de satisfaction qu’il se voit enfin confier, en 1945, la possibilité de mettre à exécution, pour la première fois, son rêve d’habitat collectif fonctionnel. Avec la Cité radieuse, il va pouvoir mettre en application le principe d’unité d’habitations déjà pensé dans la « ville radieuse » conçue dans les années 1930. Il obtient de Raoul Dautry, premier ministre après guerre de la reconstruction et de l’urbanisme, une totale liberté. Le chantier commence en 1947. 

 

Vivre dans la « maison du Fada »

Après des incertitudes sur le choix du terrain, c’est finalement au 280 boulevard Michelet qu’est installée la Cité radieuse du Corbusier. Elle mesure 165 mètres de long, 56 mètres de hauteur, 24 mètres de large, suggérant la forme d’un paquebot. Elle abrite 337 appartements de 23 types différents, le plus souvent en duplex, et dotés de loggia. Ces appartements sont agencés à partir du principe de cellule. Les intérieurs ont bénéficié de l’intervention de designers reconnus comme Jean Prouvé pour les escaliers ou Charlotte Perriand pour les cuisines ouvertes à l’américaine et particulièrement fonctionnelles. 

L’immeuble répond aux cinq points de l’architecture moderne selon Le Corbusier (les pilotis, un toit-terrasse, le plan libre qui permet de passer outre les murs porteurs, les fenêtres-bandeaux, et la façade libre) et il est construit sur le principe d’un village vertical. Au 3e se trouve la rue commerçante, ouverte à tous, avec, aujourd’hui encore, une boulangerie, une librairie, un concept-store, des professions libérales (kinésithérapeutes, architectes…) et un hôtel-restaurant. L’école maternelle accueille les enfants de l’immeuble au 9e étage et les habitants ont accès au fameux toit-terrasse, équipé d’une petite piscine, d’un auditorium et révélant une vue spectaculaire sur la splendide rade de Marseille. 
La nature et la lumière sont d’ailleurs des éléments fondamentaux dans les constructions du Corbusier, qui, dans ses plans, laissait toujours un ratio important pour les espaces verts. Pour lui, « l’architecture met au monde des organismes vivants. Ils se présentent dans l’espace, à la lumière, se ramifient et s’étendent comme un arbre ou une plante. »

Au pied de l’immeuble, des jardins partagés viennent agrémenter depuis un peu plus d’une dizaine d’années, le parc municipal géré par la ville. C’est un lieu de rencontres supplémentaires pour les occupants de l’Unité d’habitation qui ont créé une association dès 1953, un an après son inauguration, le 14 octobre 1952 à l’occasion de laquelle Le Corbusier fut promu commandeur de la légion d’honneur . 
Comme l’indique le surnom de « maison du Fada » dont elle a été rapidement affublée, la Cité radieuse n’a pas reçu au départ un accueil très positif et la Ville décide d’y installer les familles de fonctionnaires. Aujourd’hui pourtant, elle représente un habitat privilégié et recherché, pour le bien-être qu’offrent ses appartements, avec leurs matériaux nobles, leurs espaces fonctionnels et leur luminosité, et pour la convivialité de ce noyau villageois singulier. 

Classée monument historique en 1995, la Cité radieuse est aujourd’hui un lieu emblématique de Marseille, de plus en plus visité par les touristes du monde entier. Depuis 2013, le gymnase a été transformé en centre d’art, le MaMo. La terrasse panoramique accueille, quant à elle, de plus en plus d’évènements exceptionnels, comme ce concert, à l’été 2021, dans le cadre d’une émission « Du son sur les toits » de France Télévisions, des Marseillais IAM et leurs invités, sur le « plus beau spot de la ville ».