Ahmed Litim, tirailleur algérien mort à 24 ans pour libérer Marseille
Ce mardi 27 août, Marseille célèbre l’anniversaire de la Libération de la ville. Il y a 80 ans, au terme de combats acharnés, Marseille se libérait du joug nazi et de l’une des pages les plus noires de son Histoire. Lors de cette célébration, la mémoire des combattants étrangers tombés lors de la lutte pour un idéal de liberté est honorée.
Parmi eux, Ahmed Litim, tirailleur algérien de 24 ans, mort au pied de Notre-Dame-de-la-Garde, le 25 août 1944.
Entre devoir de mémoire et nécessaire transmission, nous revenons sur le parcours de ce libérateur encore méconnu.
Le régiment de tirailleurs algériens - RTA
Des milliers d’hommes ayant rejoint l’Armée d’Afrique sont venus verser leur sang sur des terres inconnues, pris dans un conflit mondial et total. Parmi eux, figurait Ahmed Litim, tirailleur algérien, soldat dans le 7e RTA.
Le RTA (régiment de tirailleurs algériens) naît en 1913, à l’aube de la Première Guerre mondiale.
En activité entre 1913 et 1964, il est l'un des régiments les plus décorés de l'armée française. S’étant particulièrement distingué lors de la Première Guerre mondiale - il est cité six fois à l'ordre de l'Armée et son drapeau décoré de la Légion d'honneur – il s’illustre de nouveau lors de la Seconde Guerre mondiale.
Après le Monte Cassino, après Rome et avant le Jura, les Vosges et l’Alsace, ces troupes remarquables libèrent Marseille en sept jours.
Un régiment à l'action décisive et un homme mort en héros
Accrochant les soldats allemands dans de durs combats sur plusieurs points de la ville, les troupes des 3e et 7e RTA prennent le 25 août, les positions ennemies à Notre-Dame-de-la-Garde.
Ces hommes combattent courageusement, pied à pied avec l’ennemi, libérant place après place, rue après rue… C’est le cas d’Ahmed Litim. De lui, on ne sait que peu de choses. Il est jeune - 24 ans - et vient de El Milia, près de Constantine, au nord-est de l’Algérie dans une zone montagneuse. Il a le grade de caporal au sein de la 1e compagnie du 1er bataillon de ce fameux 7e RTA.
Vers 16h30, le vendredi 25 août, alors que sa compagnie monte à l’assaut de Notre- Dame-de-la-Garde pour rejoindre les camarades du groupe dit « Ripoll », qui viennent de déployer un drapeau français depuis le clocher, il est fauché par un obus allemand au pied de la basilique et décède le soir même de ses blessures.
Il est cité à l’ordre de l’armée : « Jeune caporal, toujours le premier aux postes dangereux, a fait preuve d’un cran remarquable dans les combats de rue à Marseille. A été gravement blessé le 25 août 1944 à Notre-Dame de la Garde, alors qu’il se servait lui-même de son fusil mitrailleur, son tireur ayant été mis hors de combat ».
Et après la Libération...
Au moment où s’affirme la victoire contre le nazisme, Gaston Monnerville, né en Guyane, proclame, le 25 mai 1944 : « Sans l’Empire, la France ne serait qu’un pays libéré ; grâce à son Empire, elle est un pays vainqueur ».
Si l’on doit reprendre la terminologie de l’époque, pour la seule Afrique du Nord, l’Armée dénombrait au 1er novembre 1944, 176 000 « Français sous les drapeaux », et 233 000 « musulmans ».
Mais cette reconnaissance s’effacera aussi vite que l’encre qui pâlit sur les documents officiels. De retour chez eux, ces soldats seront soumis à des régimes différents de leurs homologues non « musulmans » ou non « indigènes ».
« Ces soldats du Maghreb, de retour chez eux, voient la misère matérielle qui frappe durement les campagnes, amertume et déception les guettent, lorsqu’il leur viendra à l’idée de réclamer les mêmes droits de citoyenneté que les Français d’Afrique du Nord. Beaucoup s’indignent de ce que la citoyenneté avec maintien du statut personnel musulman, accordée par les ordonnances de mars 1944 en Algérie, ne soit pas octroyée aux anciens combattants, ou, du moins, aux décorés de la Croix de guerre. Et surtout, ils découvrent avec stupeur l’ampleur de la répression dans le Constantinois, après les émeutes de Sétif et Guelma, en mai-juin 1945 ». Benjamin Stora (1)
Qu'ils soient aujourd'hui honorés et célébrés.
« C’est nous les Africains
Qui arrivons de loin
Nous v’nons des colonies
Pour sauver la Patrie
Nous avons tout quitté
Parents, gourbis, foyers
Et nous avons au cœur
Une invincible ardeur
Car nous voulons porter haut et fier
Le beau drapeau de notre France entière
Et si quelqu’un venait à y toucher
Nous serions là pour mourir à ses pieds
Battez tambours, à nos amours
Pour le pays, pour la Patrie
Mourir au loin
C’est nous les Africains ».
Chant des anciens combattants des bataillons d’Afrique de la Seconde Guerre mondiale.
(1) Benjamin Stora est Professeur des universités et enseigne l’histoire du Maghreb contemporain (XIXe et XXe siècles), les guerres de décolonisation, et l’histoire de l’immigration maghrébine en Europe à l’Université Paris 13 et à l’INALCO (Langues orientales, Paris).
Docteur en sociologie (1978), et Docteur d’État en Histoire (1991), il a été le fondateur et le responsable scientifique de l’Institut Maghreb-Europe.
Il a publié une trentaine d’ouvrages parmi lesquels La gangrène et l’oubli, La gangrène et l'oubli (La Découverte, 1991) ; Appelés en guerre d’Algérie (Gallimard, 1997) ; La guerre invisible, éditions Presses de Sciences Po (2000). Il a dirigé avec Mohammed Harbi l’ouvrage collectif, La guerre d’Algérie, aux éditions Robert Laffont (en poche, Hachette Littérature, 2006).
Crédit photo : Archives municipales