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de Paris, leurs marbres élégants. En quelques

années, Marseille vécut alors une «accélération

de mode» qu’elle ne devait pas retrouver avant le

Second Empire.

La rue Saint-Ferréol hérita de ces raffinements,

tout comme ses voisines, de Rome, Paradis et

Beauvau, Canebière et Noailles. Elle se hérissa

de boutiques nouvelles répondant aux canons

de la mode les plus impératifs. La tranquille et

austère promenade bourgeoise et aristocratique

des première années 1800 devint en une géné-

ration, aux dires du

Messager de Marseille, «un

bazar très étendu, une foire de Beaucaire inamo-

vible

», avec magasins de mode, de bibelots, de

bonbons, de clincaillerie, libraires et marchands

de musique, mais aussi ses boutiques d’objets de

luxe, ses cafés, ses chocolatiers, ses confiseurs

(en l’absence d’épicier ou de boucher à l’activité

jugée par trop commune !).

En 1839, en même temps que la Canebière, la rue

Saint-Ferréol passait à l’éclairage au gaz de résine

et ses trottoirs étaient asphaltés. Ses enseignes

s’ornèrent de superbes lanternes extérieures et

les nouveautés venues de la capitale gagnèrent un

cœur de ville où rivalisaient désormais les bazars

et les boutiques «chics».

Au rythme des polkas, les petits théâtres d’illusion

et de prestidigitation investissaient la rue, de somp-

tueuses réceptions mondaines envahissaient les

hôtels particuliers et les cercles bourgeois créés,

rénovés ou même reconstruits.

C’est ainsi que vers 1845, le cercle de Provence,

trop légitimiste, fut remplacé au n°53 par le cercle

Puget, qui l’était à peine moins, et fut superbement

rénové quinze ans plus tard par l’architecte Blan-

chet et décoré de fresques par Ferrari. Le cercle du

Commerce fut pour sa part reconstruit sur place.

D’autres subsistèrent plus ou moins longuement,

tel le Cercle de l’Amitié, le Cercle Français, celui

du Pérou, celui des Mirlitons et, plus tard, ceux

des Eclaireurs, des Cadets et le Petit cercle. Dans

les années 1830, le célèbre Cercle des Phocéens

lui-même n’était pas très loin non plus, au n°1 de

la rue du Jeune-Anacharsis…

Le rajeunissement de la rue se poursuivit dans

les années 1840 avec la destruction de l’hôtel de

Panisse-Passis et de son jardin (n°30 à 34) rem-

placés par des immeubles et les vastes salons de

musique de Pépin. Au n°23, sur l’emplacement

de l’hôtel Champsaur, lui aussi détruit, le passage

Saint-Ferréol, imité des passages parisiens, don-

nait sur un hôtel, un bazar et un théâtre de phy-

sique, mécanique et prestidigitation.

La vie mondaine battait son plein. Au n°38,

Lady Greig recevait dans son salon littéraire et

artistique Victor Hugo, Joseph Méry, Henry

Monnier, Balzac, Théophile Gautier, Gérard de

Nerval, Alexandre Dumas… Au n°55, l’hôtel

particulier de Jean-Baptiste Pastré résonnait de

fastueux bals mondains. Il fit sensation en 1845 en

hébergeant pour un temps Ibrahim Pacha, le fils de

Méhémet-Ali, et une suite importante d’étudiants

égyptiens. En 1846, s’ouvrait la grande salle de

concerts Boisselot…

A l’heure où la capitale nous adressait jour après jour

d’autres célébrités comme Lamartine, Offenbach,

Berlioz, le comte de Joinville, Frédérick Lemaître,

Horace Vernet, Rachel…, la rue Saint-Ferréol était

devenue la plus «parisienne» des rues marseillaises.

Un qualificatif qui lui resta sous le Second Empire et

la Troisième République, malgré la concurrence de

la rue Noailles rénovée et celle de la rue Impériale.

L’originalité de son décor tournait même à l’extra-

vagance. En 1860, quinze de ses maisons s’étaient

«chargées de couleur : trois du sol à la toiture et

douze du rez-de-chaussée au 2

e

ou 3

e

étage»

. Un

«magasin chinois» s’ouvrit au n°35. La presse

s’empressa de conclure

«Marseille, ville «chinoise»

avec écrans et paravents chinois, il ne lui manquera

plus que les toits pointus»

.

La rue Saint-Ferréol avec ses commerces élégants

attirait plus que jamais la clientèle des bourgeois

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LE GRAND DÉPÔT, SUCCURSALE MARSEILLAISE DE «LA PREMIÈRE MAISON DE

FRANCE POUR LA TABLE, LE DESSERT, LA FAÏENCE…».

© COLLECTION ADRIEN BLÈS