En avant la musique
Proche jadis du premier théâtre de la rue Pavillon,
puis de celui de la rue Vacon, et enfin du Grand
Théâtre inauguré en 1787, la rue Saint-Ferréol était
toute désignée pour recevoir des manifestations
culturelles. Si elle eut sa part de libraires et d’édi-
teurs, elle se distingua surtout par les associations,
les artistes, les marchands d’art et de musique qui
y organisèrent des expositions et des concerts tout
au long du XIX
e
siècle. On y trouve dès 1792 un
Bremond, facteur de piano-forte et accordeur de
clavecins. Luthier et marchand de pianos, Hugolin
Pacquet occupe de 1797 à 1828 l’immeuble n°2
à l’angle de la Canebière, Jean-Louis Boisselot lui
succède dans les années 1830.
Marchands de musique et d’instruments variés,
cuivres et bois, mais surtout de pianos de leur
propre fabrication, les Boisselot connurent, notam-
ment grâce à Liszt, leur heure de célébrité. Le
magasin du 2 rue Saint-Ferréol servait à l’occasion
de salle de concert, mais Marseille méritait un lieu
plus prestigieux à côté de son Grand Théâtre…
Profitant de l’exceptionnel environnement culturel
dont bénéficiait la ville à cette époque, les frères
Louis et Xavier Boisselot (ce dernier compositeur,
Prix de Rome), après avoir transféré leur magasin
rue de la Darse, ouvrirent en 1846 aux n°40-42 de
la rue Saint-Ferréol une magnifique salle de concert
décorée par Roche-Lattila.
Abritant le Cercle musical, recevant les virtuoses,
donnant des nouveautés musicales comme en
1850, le
Selam
de Reyer, mais aussi des confé-
rences scientifiques, économiques, culturelles et
même politiques, elle fut pendant sept ans à la
pointe de la vie intellectuelle et artistique marseil-
laise, avant de fermer en novembre 1853. Alors,
le local, trop coûteux à gérer, fut provisoirement
reconverti en une sorte de grand bazar, le Palais de
l’Industrie, avant de devenir quinze ans plus tard le
siège du prestigieux Cercle Artistique.
Officiellement constitué au 33 rue de la Darse en
septembre 1867 sous la présidence de Janjoux,
le Cercle Artistique investit en 1868 aux n°40-42
de la rue Saint-Ferréol, l’ancienne salle Boisselot,
qui avait gardé l’essentiel des décorations de Lattila
(notamment son plafond orné de jeunes virtuoses
sur fond d’or). L’architecte Joseph Letz réaména-
gea les espaces intérieurs. Il agrandit la salle, créa
une grandiose entrée principale, rue Saint-Ferréol,
délaissant la modeste porte de la rue Haxo. Le hall
d’exposition était éclairé par une verrière et décoré
de frises où l’on reconnaissait Papety, Méry, Lou-
bon, Mistral, Félicien David… La salle de concert,
avec son haut plafond, ses 600 places en gradins,
son acoustique excellente, était jugée parfaite et
sans équivalent dans la capitale. Les deux étages
offraient des salons de lecture et de jeux. Au pre-
mier, le «caboulot» servait des consommations.
Le 8 décembre 1868, l’inauguration fut somp-
tueuse : foule difficilement maintenue par des
lanciers, files de voitures avec de magnifiques
attelages faisant résonner le pavé, invités en tenue
de gala traversant le grand hall où se tenait une
exposition de peinture des maîtres français de
l’école de 1830 assortie de sculptures de Bontoux
et Poitevin. Faisant la haie, de jeunes hommes en
tenue de soirée attendaient dames et demoiselles
pour les conduire à la salle de concert. Soixante-
dix musiciens jouèrent Haydn et Mendelssohn ; le
pianiste Théodore Thurner y brilla. Les chanteurs
vedettes du Grand Théâtre et les chœurs Trotebas
accompagnèrent aussi les premiers pas du Cercle
Artistique, qui, pendant quatre décennies, allait être
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JOURNAL DE SPECTACLE
L’ALBUM
(DE 1882). PHOTOGRAPHIE CAYOL COLLÉE AU CENTRE DE LA
PAGE IMPRIMÉE.
© COLLECTION ECHINARD
NOTES
[4]
Ce fut le cas des Boisselot eux-mêmes et, au long des XIX
e
et XX
e
siècles, de Guin-Roger (n°46), du Suisse Pépin et son associé Roussel,
éditeurs de musique, de Carbonel, qui leur succéda en 1864 au n°21 puis au 27, et encore de Schultz (n°64), Roubaud (n°32), Alexandre Barthélemy
(n°48-50), Meissonnier (n°73)…