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crainte anime les premiers voyageurs : elle tient

aux intempéries. On redoute que les pluies tor-

rentielles des derniers jours n’aient provoqué des

affaissements dans les remblais. Finalement, une

seule légère dépression sans conséquences est en-

registrée à l’aller comme au retour à hauteur de

la propriété Rostand, entre Saint-Barthélémy et

Saint-Joseph.

Plus angoissant encore pour des voyageurs néo-

phytes (que n’a-t-on pas dit sur les dangers des

tunnels !), le souterrain de la Nerthe est franchi

en un peu plus de huit minutes

(10)

(6’ 30 au

retour), une vitesse jugée prodigieuse, comparée

aux autres tunnels déjà installés en France et

pourtant beaucoup plus courts. Il n’y a pas

d’éclairage dans le souterrain et il a fallu disposer

de loin en loin des porteurs de torches pour

«ren-

dre les ténèbres visibles»

aux officiels :

«c’est un

fantastique coup d’œil»

.

Les lumières combinées à la vitesse, apparaissent

comme d’inquiétants éclairs, des étoiles filan-

tes… Passé la Nerthe, le train s’arrête treize mi-

nutes à la station de Pas-des-Lanciers pour refaire

de l’eau, puis repart.

Sur toute la première partie du trajet, on s’est

émerveillé du paysage : bastides, habitations

champêtres, archipels de village peuplant la ban-

lieue marseillaise, sur fond de mer :

«La nouvelle

voie réhabilite enfin le magnifique territoire de Mar-

seille, si peu connu, si ridiculement calomnié par

les étrangers. On ne saurait imaginer sur aucun des

chemins de fer les plus fréquentés en France et à

l’étranger un tableau plus magique, plus grandiose,

une variété de sites plus extraordinaire»

(11)

.

Pris dans une atmosphère de confusion entrema-

chine, animal et être fantastique, les journalistes

se laissent aller à un lyrisme échevelé :

«l’espace

est dévoré par les dragons à vapeurs»

, le sifflement

aigu de la locomotive ressemble au râle puissant

«qu’on dirait sorti d’une bête vivante»

(amusé, un

chroniqueur du

Dimanche Illustré

demande quel

râle peut faire une bête morte), on est pris par la

«gueule béante»

du tunnel de la Nerthe ; conclu-

sion :

«l’Hercule moderne, c’est la vapeur !»

.

A l’arrivée à Saint-Chamas, où a lieu un second

arrêt technique de 13 minutes, une musique mi-

litaire salue le convoi, puis, passé le beau viaduc

de la Touloubre, on aborde la Crau sous la neige,

pour arriver finalement en Arles à 11h06.

L’accueil est assez froid, dans tous les sens du

mot. Il neige, il fait 4 degrés et les Arlésiens, les

Arlésiennes surtout, ne se sont pas déplacés

(12)

.

Là, dans un vaste hangar circulaire orné de ten-

tures et de guirlandes de feuillages,

«un palais

bâti par les fées»

, un déjeuner est servi aux voya-

geurs, réchauffés par seize poêles installés à seize

tables de quarante-cinq couverts chacune

(13)

disposées en rayons convergeants vers le buffet

central, tandis qu’une musique militaire et un

orchestre jouent des ouvertures d’Auber, des qua-

drilles, des galops surtout dont le rythme est vo-

lontiers comparé à celui du chemin de fer. Après

le toast du président Wulfran Puget au roi, dont

le buste domine la salle, les invités visitent les

superbes ateliers de la station. Quelques convives

plus hardis tentent même une excursion dans la

neige vers les Antiquités de la ville. Enfin, le con-

voi reprend la direction de Marseille à 13h55,

15

(10)

Alors que la plupart des voyageurs consultaient leur montre pour connaître la durée du parcours souterrain, certains eurent

l’idée de la mesurer au nombre d’allumettes-bougies «Roche» brûlées. La durée du parcours fut de 7 allumettes. D’après

le Sud

(10.11.1848), en Allemagne on évaluait la distance au nombre de pipes fumées.

(11)

La Gazette du Midi

du 10.01.1848.

(12)

Le Sud

du 10/11.01.1848 s’exclame déçu :

«La cité phocéenne venait de faire vingt lieues en deux heures pour embrasser sa sœur,

fille de Rome, et celle-ci n’a pas fait quelques pas pour se précipiter dans ses bras»

, alors qu’on a fait beaucoup d’efforts pour la

rejoindre,

«contrairement à la géographie naturelle et à la ligne droite»

.

(13)

Le Courrier de Marseille

du 10.01.1848 parle de 60

couverts par table (cf., les extraits publiés par Charles Trédé dans «La Gare Saint-Charles» revue

Marseille

, 1

er

trimestre 1975,

n

°

100, p. 22).

NOTE

Plaque d’instruction

à l’usage des chauffeurs

©BMVR