porter un goupillon, il n’avait qu’à étendre les deux
premiers doigts, à relever le pouce et à couper en
quatre la pluie qui tombait comme pour lui faire
plaisir, et tout était dit»
(8)
. Malgré cela,
l’assistance était nombreuse dans la gare autour
de la rotonde couverte, pavoisée de drapeaux, de
plantes et de guirlandes de feuillages, qui abritait
l’autel où l’évêque de Marseille et son clergé al-
laient officier et sous
laquelle les autorités,
les notables, quelques
élégantes intrépides, le
conseil d’administra-
tion et les ingénieurs du
chemin de fer avaient
réussi à se glisser. Le public anonyme, lui, subit
le déluge avec les troupes. Des musiques militai-
res alternaient avec des salves de canons.
L’évêque de Marseille était accompagné du père
Lacordaire, en habit de dominicain, venu à Mar-
seille parler le 10 janvier à Saint-Joseph pour une
œuvre de charité.
Après le discours deWulfran Puget, président du
conseil d’administration de la société des che-
mins de fer, promettant à Marseille la maîtrise
des nouvelles voies de terre après celle des routes
de la mer, vient celui de Monseigneur de Maze-
nod. Sortant des considérations purement com-
merciales ou spécifiques, le prélat se félicite que
le chemin de fer puisse aussi faciliter le déplace-
ment des missionnaires, ainsi que celui des pèle-
rins vers Rome.
Après la messe, arrive enfin la bénédiction des
«machines animées et presque intelligentes»
, mais
«soumises»
et des rails
«auxquels tant de vies vont
être confiées»
. Une douzaine de locomotives
(9)
sont successivement baptisées. Les unes ont
des noms d’oiseaux
(l’Hirondelle, l’Alouet-
te), d’autres évoquent, à
point nommé, les élé-
ments déchaînés (le
Mistral, la Trombe) et
même les enfers (As-
modée). Trop marquée par son appellation sata-
nique, Lucifer est restée à l’écart et n’a pas eu droit
à la bénédiction !
… à l’inauguration
Le lendemain, 9 janvier, on inaugure la ligne,
toujours par un temps affreux : il pleut sans arrêt
depuis trois jours. Pourtant, dès sept heures du
matin, le boulevard, le chemin de Saint-Charles
et les rues voisines se sont couverts de voitures,
de cabriolets, d’omnibus et d’une foule de piétons
qui, malgré le déluge, se rendent à la gare en in-
vités ou en curieux. L’accès de la gare est interdit
au public au moment du départ.
Parmi les invités, figurent en bonne place lemaire
de Marseille Elysée Reynard, pair de France, La-
coste, préfet des Bouches-du-Rhône, le lieute-
nant général d’Hautpoul, commandant la divi-
sion militaire, le général Parchape, les présidents
des tribunaux et les représentants de
l’Université…En tout, cinq à six cents personnes
vont prendre place dans le train spécial de 21 wa-
gons tractés par deux effrayantes locomotives
«hippogriffes» qui doit les mener à Arles. Parti
de Marseille à 8h36, le convoi est conduit par
Talabot en personne et Audibert, son directeur
d’exploitation.
Malgré tout le prestige de tels conducteurs, le
départ ne se fait pas sans un pincement au cœur.
Le temps n’est pas si loin où les Cassandres de la
médecine promettaient aux adeptes du chemin
de fer pleurésie, maladies cardiaques et nerveu-
ses ; et puis les catastrophes ne manquent pas
dans la jeune histoire ferroviaire de l’Angleterre
ou des régions du Nord. Plus sérieusement, une
14
(8)
Le Dimanche Illustré
, 16.01.1848
(9)
Les témoignages varient entre 10 et 14.
NOTES
Le souterrain de
la Nerthe fut
franchi en six
minutes trente
Monseigneur deMazenod se félicite que
le chemin de fer puisse aussi faciliter
le déplacement des missionnaires
et des pèlerins vers Rome…
©D.R.